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La fabrique Boyard
En 1796, Charles Henri Boyard, âgé de 19 ans, s’installe fabricant de bas à Pussay. Il est le fils de Henry Boyard, marchand de bas à Etampes où il est né le 4 avril 1777. A l’époque, les petites fabriques sont nombreuses à Pussay, François Boncerf nous les a décrites en 1788. Il en existe même une importante, celle de Pierre-Paul Dujoncquoy, fondée en 1766. C’est justement l’une des filles de ce dernier, Thérèse Euphrasie, que Charles Henri épouse le 11 fructidor de l’an 6 (28 août 1798). Il a 21 ans et elle n’en a que 16, puisqu’elle est née le 30 novembre 1782.
Très vite, un garçon naît le 28 fructidor an 7 (14 septembre 1799), Louis Henry. Il sera suivi par Pauline Agathe Thérèse le 27 ventôse an 9 (18 mars 1801), François Victor Hippolyte le 12 nivôse an 13 (2 janvier 1805) qui décèdera un mois plus tard, Thérèse Elisa le 1er septembre 1806. Suivront deux enfants mort-nés, le premier, dont le sexe n’est pas précisé, le 9 février 1810 et la seconde le 12 septembre 1814. Dans ces deux cas, le témoin est Auguste Dargent, officier de santé à Angerville la première fois et chirurgien accoucheur la seconde fois. Les familles aisées n’étaient pas plus épargnées par la mort de leurs enfants que les autres.
Elles n’étaient pas non plus épargnées par les difficultés professionnelles. Charles Henry déclare sa fille mort-née à la mairie le 13 septembre et le maire, Jean-Baptiste Delanoue, écrit en marge de l’acte « attendu la disparition du déclarant [Charles Henry Boyard] le quinze septembre attribuée par cause de faillite et n’ayant pas reparu depuis nous n’avons pas pu nous procurer sa signature ». Il faut supposer que cette faillite sera passagère puisque nous retrouverons très vite Charles Henri en tant que fabricant de bas à Pussay.
L’année 1814 est particulière, puisque Napoléon abdique le 6 avril, après une guerre dévastatrice. Les statistiques industrielles permettent de constater un fléchissement de l’activité économique sur Pussay à ce moment-là :
– en 1812, le nombre d’ouvriers employés dans l’ensemble des fabriques de Pussay est de 1089 en janvier, 1020 en avril, 1020 en juillet, 1359 en octobre et la quantité de laine utilisée sur trois trimestres est de 76 704 kg, cette laine est indigène ;
– en 1813, ces mêmes chiffres sont de 1149, 962, 950, 1149 et la quantité de laine utilisée sur l’année, laine de Berry essentiellement, est de 49 600 kg ; les produits fabriqués, bas, chaussons, gants, mitaines; étaient expédiés tant au nord qu’au sud de Paris ;
– en 1814, ils sont de 949, 710, 528, 1151 et 35140 kg de laine ;
– en 1815, ils sont de 1289, 735, 545, 1211 et 39 225 kg ;
– en 1816, ils sont de 1237 en janvier, 1107 en avril et 50 500 kg de laine sont filés et employés à la main sur trois trimestres, plus 5600 kg à la filature mécanique. On note là les débuts de la mécanisation ;
– en 1817, 73 000 kg de laine à la main, plus 12 600 kg à la filature mécanique seront employés. On retrouve les chiffres de 1812 et la mécanisation progresse.
S’il était de tradition d’observer une période de creux dans l’activité industrielle à l’époque des travaux des champs, d’avril à juillet, période qui correspondait d’ailleurs à la vente des marchandises pour l’hiver, l’année 1814 accuse donc un net recul. Ce recul commence d’ailleurs dès la fin de 1813, année pendant laquelle il s’emploie beaucoup moins de laine et encore moins en 1814. L’activité ne repartira vraiment que début 1815 pour progresser lentement ensuite. Même si les chiffres mentionnés sont parfois, à l’évidence, recopiés d’un trimestre sur l’autre, ils donnent néanmoins une tendance et les fonctionnaires chargés d’établir ces statistiques notent en avril 1814 « Ce trimestre a été interrompu par l’effet des circonstances et l’occupation du pays par les troupes alliées » et en juillet « Ce trimestre est à peu près nul, d’abord effet des circonstances et par la moisson » ; observations qui se retrouvent en avril 1815 : « Les fabriques ont été interrompues pendant ce trimestre par les événements » et en juillet : « Ce trimestre a été presque nul, par le séjour des troupes alliées et par les travaux de la moisson ». A cette époque, beaucoup de fabriques liées en particulier aux marchés militaires vont couler par faute de rentrée de fonds.
Il semble que dès le mois de mars 1814, Charles Henri ait fait appel à ses amis pour renflouer son affaire. Honoré Gagé, menuisier à Pussay, engagera une procédure judiciaire contre lui, en octobre 1814, pour récupérer un prêt d’argent et le paiement d’ouvrages effectués pour lui, d’un montant de 2522 francs. De même Leguay d’Angerville, qui lui avait prêté depuis un « certain temps » une somme de 3285 francs, ou François Robert, propriétaire à Pussay, pour la somme de 3936 francs « qu’il lui a remis de caution à titre de dépôts au mois de mars dernier lors du séjour en ? ».
Il disparaît effectivement de son domicile le 15 septembre 1814, ce qui est constaté par un acte de notoriété du 12 octobre, date à laquelle un jugement, rendu par le tribunal d’Etampes, autorise la saisie des meubles, effets et marchandises lui appartenant. Il y a là « une grande quantité de bas, chaussons, laines et plusieurs lots de marchandises non emballées de différentes qualités dont le déplacement occasionnerait une confusion nuisible et très préjudiciable aux intérêts des créanciers dudit Boyard », ce qui pousse Charles Augustin Maugars, marchand de blé à Etampes, lui aussi demandeur, à solliciter du président du tribunal, la permission de vendre sur place au domicile des Boyard.
Thérèse Euphrasie Dujoncquoy demande alors le 17 octobre, une séparation de biens d’avec son mari. Les dettes s’élèvent à 50 000 francs, des billets sont protestés, plusieurs créanciers ont poursuivi, leurs biens sont saisis et vont être vendus et « le seul immeuble qui appartient à la communauté d’entre ledit sieur Boyard et sa femme est menacé d’être saisi à la requête du sieur Maugars qui a fait déjà procédé à la saisie mobilière ».
Elle l’obtient le 22 novembre, attendu qu’il est instamment établi que les affaires de son mari sont en mauvais état et que sa dot est en péril. Charles Henri est condamné à lui restituer la somme de 6000 francs, montant de sa dot, les sommes qu’elle justifiera avoir apporté depuis et à « la garantir et indemniser de toutes les sommes pour lesquelles elle s’est obligée envers lui ».
Les relations avec la bonneterie de l’Aube
Lorsque le petit François Victor naît en 1805, l’un des témoins s’appelle François Bazin, fabricant de bas à Méry-sur-Seine. Dans un extrait « du dictionnaire topographique des environs de Paris » par M. Odienne (édition 1812), nous pouvons lire au chapitre fabricants de bonneterie « MM.Bazin, rue des Déchargeurs, n° 10 [à Paris] (Dépôt des manufactures de bonneterie en coton de MM. Bazin, père, et Bazin du Joncquoy, de Méry-sur-Seine ; assortiment général de bonneterie en laine et en coton des manufactures de France.) ». La coïncidence est si surprenante que nous la signalons, sans toutefois pouvoir garantir l’exactitude de l’information, ni s’il s’agit du même Bazin.
Une chose est sûre : François Bazin est fabricant de bas à Méry-sur-Seine, fils de Louis également fabricant de bas, et, à 26 ans, il épouse le 15 pluviôse an 13 (4 février 1805), Marie Sophie Dujoncquoy, fille de Pierre Paul, fabricant de bas à Pussay, qui elle a 17 ans. Les filles et fils de fabricants se mariaient généralement dans leur milieu. Le frère de François, Edmé Louis, 28 ans, est marchand bonnetier à Paris. Son autre témoin s’appelle Louis Antoine Marel fabricant de bas à Méry-sur-Seine, son beau-frère de 38 ans. Dès cette époque donc, des relations étroites existent entre ce centre de fabrication de bonneterie qu’est l’Aube et Pussay, et également Paris.
La succession de Charles Henri
Lors du décès de sa mère, Agathe Angélique Pithois, le 19 juillet 1825, Charles Henri est encore fabricant de bas, mais lors du mariage de sa fille Thérèse Elisa avec Stanislas Bernier, fabricant de bas à Oysonville, le 22 juin 1829, il est « ancien fabricant de bas », alors que son fils Louis Henri, témoin, est « fabricant de bas ». La passation s’est donc effectuée entre 1825 et 1829. Il sera ensuite qualifié de « propriétaire » ou « bourgeois » selon les actes.
En cette même année 1829, Louis Henri hérite d’un fils, puisque sa femme, Marie Anne Caroline Vernois, donne naissance le 18 mars à un petit Henri. Louis Henri est alors âgé de 29 ans et sa femme, originaire d’Orléans, a 19 ans. Henri ne vivra cependant que 4 mois. Un petit Ernest arrive au foyer le 29 octobre 1833. Il décède lui aussi deux mois plus tard au domicile de Jean-Louis Quinton, berger à Pussay, chez lequel il était en nourrice. Vient alors Gustave Marie Amédée le 27 juin 1835. Cette naissance est la bonne. Gustave va vivre, mais sa mère elle, n’y survivra pas. Elle décède un mois plus tard, le 31 juillet 1835 : elle n’est âgée que de 25 ans.
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Louis Henri se remarie un an plus tard, le 15 juin 1836 avec Célina Félicité Hortense Ancest.
Leur union donne naissance à Thérésia Louise Bathilde, Marie Pauline Célina, Jenny Henriette Mélanie et Louis Charles Emile.
En 1840, la fabrique Boyard fils, l’une des plus importantes de Pussay, emploie 40 ouvriers, sans compter les femmes occupées à tricoter en dehors de la fabrique et les enfants. La fabrique Forteau-Gry emploie 50 ouvriers dans la commune et celle de Dujoncquoy et Fils, 40 ouvriers. Les laines étrangères commencent à être utilisées, dans la proportion d’un huitième. Au deuxième trimestre 1840 le sous-préfet écrit dans son rapport « On n’a qu’à féliciter tous les établissements de Pussay qui prospèrent et introduisent peu à peu les métiers, pour remplacer par des travaux prompts et plus économiques, une grande partie de leurs produits tricotés. A mesure que leurs relations s’étendent, ils augmentent leurs perfectionnements ; presque toutes les formes de bas sont changées. Elles sont faites sur la forme des jambes et pieds et s’ajustent sans bourrelet ou dureté qui blessaient ceux qui s’en servaient. Aux couleurs noires qui dominaient pour les bas et les chaussons fourrés, on commence à substituer du gris. Il y a donc progrès réel ».
Le travail évolue effectivement depuis quelque temps. L’industrie de la laine cherche à remplacer « les bras trop chers » par des machines d’une part et utilise de plus en plus des laines étrangères en particulier allemandes. Les fabricants n’acceptent « la laine française qu’à des conditions souvent inférieures au prix d’acquisition avant le lavage », ce qui amène le sous-préfet à faire ce constat : « Dans cette baisse exagérée, les laveurs de laine ne font pas seuls des pertes énormes. Les cultivateurs sont obligés de subir des réductions telles que jamais leurs plaintes n’ont été si vives. L’agriculture s’en ressent déjà car beaucoup par mesure d’économie, ont réduit le chiffre de leurs moutons. Le gouvernement seul peut remédier à cet inconvénient, en rétablissant le droit d’entrée des laines étrangères à 33 % ad valorem comme il existait par suite de la loi de 1826. La réduction à 22 % fixée par la loi de 1834 est réellement un coup de massue donné à l’agriculture française que le gouvernement ne saurait trop encourager, car elle est la force vitale du pays. En venant en aide à l’agriculture, qui en ce moment appauvrit le sol par la réduction des engrais, le gouvernement soulagerait en même temps l’industrie des laines, qui avait aussi une réelle importance ; industrie qui sans une main secourable est à jamais perdue ».
Pourtant, l’industrie de la laine a encore de beaux jours devant elle à Pussay, même si au premier semestre 1843, « le prix des marchandises a diminué par le fait de la concurrence et cependant, le prix des matières premières n’a pas baissé. Les fabricants travaillent sans bénéfice. Les métiers à bras introduits depuis trois ans ont toujours de la peine à prendre, parce que les prix de façon sont plus élevés que dans les autres fabriques. Presque tous les ouvriers sont occupés, les uns dans les diverses usines et les autres aux travaux agricoles, leur salaire est toujours le même » et au second semestre « la prospérité des fabriques de bas de Pussay s’est un peu ralentie, parce que les prix sont trop bas, par l’effet de la concurrence. La douceur de la température a mis obstacle à l’écoulement des produits. Beaucoup d’ouvriers sont sans occupation. Le salaire de ceux qui travaillent a un peu diminué ».
Les transformations apportées à la fabrique
Lorsque Louis Henri décèdera en décembre 1854, sa veuve demandera qu’un inventaire soit dressé pour la conservation des droits et intérêts des parties. Ce dernier sera effectué les 23, 24 et 25 janvier 1855 pour les biens et les 26 et 27 mars pour les titres et papiers.
Après le décès de Marie Anne Caroline Vernois, première épouse de Louis Henri, décédée en 1835, il avait déjà été procédé, par Me Lamarre, notaire à Etampes, à un inventaire des biens de la communauté d’entre elle et son mari Louis Henri, les 10 et 11 septembre 1835. Malheureusement, le second semestre 1835 est manquant dans les papiers de ce notaire aux archives départementales, ce qui nous prive d’une comparaison intéressante.
Il ne reste donc à notre disposition que la donation-partage des parents Boyard actée le 22 juillet 1832, pour prendre la mesure des transformations réalisées.
Concernant la fabrique, pendant la période allant de 1827/1832 à 1835, Louis Henri commence à opérer quelques modifications (il a hérité de la maison le 22 juillet 1832), notamment à la foulerie et à la « boutique des apprêteurs » :
– il fait exhausser et agrandir un bâtiment servant de teinturerie sis près des grandes portes, ce bâtiment construit en grosse maçonnerie et contenant deux espaces est élevé d’un étage sans plancher, il a porte sur la cour et une croisée dans chacun de ses pignons, sa charpente en chêne est couverte en ardoises ;
– il fait reconstruire à neuf un autre bâtiment servant autrefois de foulerie et consistant aujourd’hui en un rez-de-chaussée composé d’une foulerie et d’une étuve, d’un premier composé d’une boutique à apprêter et d’un petit cabinet servant de bureau et au-dessus du premier dans les combles de deux magasins planchéiés surmontés d’une charpente couverte en ardoises.
– une partie des matériaux de sa nouvelle construction provient de la démolition tant du vieux bâtiment que d’un enformage qui existait dans la grange et qu’il a fait abattre.
Sur la période suivante, de 1835 à 1855, les transformations et les constructions prennent de l’ampleur :
– il édifie en totalité sur partie d’un terrain autrefois en jardin au fond de la cour, un bâtiment de quatre espaces couvert en ardoises divisé : au rez-de-chaussée en une foulerie dallée en briques avec puisard au-dessous, une chambre dite des entrepreneurs et une remise ; au premier étage, en magasins pour les laines, surmonté de greniers ;
– deux planchers formant un étage et un grenier sont établis dans le bâtiment servant autrefois de teinturerie et aujourd’hui de boutique pour les apprêteurs et qui avait été exhaussé et agrandi pendant la première communauté ;
– il a été construit à la suite un autre bâtiment de trois espaces également muni de deux planchers qui forme aujourd’hui au rez-de-chaussée un bûcher et des lieux d’aisance, magasin au premier étage et grenier au-dessus couvert en ardoises. Un escalier intérieur a été établi pour parvenir au premier étage et aux greniers des deux bâtiments ;
– sous l’étuve ou séchoir, une cave a été creusée et voûtée pour l’établissement d’un calorifère ;
– enfin, il fait construire au fond de la cour à gauche, sur partie de l’ancien jardin, un bâtiment de trois espaces couvert en ardoises divisé au rez-de-chaussée en écurie, resserre et lieux d’aisance pour les ouvriers, le tout surmonté d’un grenier avec escalier intérieur pour y monter.
Cette page montre l’intérieur d’une fabrique et plus exactement le lieu nommé la foulerie, tel qu’il a pu exister à Pussay aux 17ème et 18ème siècles. Ensuite, les ateliers sont devenus beaucoup plus grands et la foulerie a été séparée de l’atelier des apprêteurs. A gauche, l’ouvrier occupé à fouler ; à droite, les apprêteurs. L’un d’eux drape un bonnet : il en tire la laine avec les chardons, l’autre tond le bonnet. Ils sont normalement placés en face de l’établi. Au fond, le fourneau, la chaudière et le réservoir d’eau froide qui fournissent l’eau chaude au foulon. Suspendues ou entassées au coin, les formes à bas.
L’inventaire va également nous révéler ce que contiennent ces bâtiments. En 1855, la fabrication Boyard est essentiellement tournée vers les chaussons, mais également les rentures, ou chaussettes, les gants, moufles et bas. Pour donner forme à ces articles après le foulage et le feutrage, des formes en bois sont nécessaires et cette opération se passe dans un atelier ou pièce d’enformage. La fabrique possède :
– 980 formes en bois pour chaussons d’homme à 2,25 francs la douzaine, soit 183,75 francs
– 2352 formes en bois pour chaussons de femme à 2,00 francs la douzaine, soit 392,65 francs
– 2397 formes en bois pour chaussons d’enfant à 1,50 francs la douzaine, soit 299,65 francs
– 144 formes en bois pour rentures d’homme à 9,50 francs la douzaine, soit 114 francs
– 72 formes en bois pour rentures de femme à 7,50 francs la douzaine, soit 45 francs
– 198 formes en bois pour gants homme et femme à 9,50 francs la douzaine, soit 156,75 francs
– 280 formes en bois pour moufles homme et femme à 5,50 francs la douzaine, soit 93,50 francs
– 27 formes en bois pour bas d’homme à 11,50 francs la douzaine, soit 25,85 francs
– 93 formes en bois pour bas de femme à 9,50 francs la douzaine, soit 65,40 francs
– 216 formes en bois pour bas d’enfant à 5,50 francs la douzaine, soit 99 francs
La quantité de formes en bois pour chaussons est importante.
Elle possède aussi :
– 14 métiers pour bas et rentures coûtant 125 francs chaque, soit 1750 francs.
– un calorifère établi dans la cour sous le séchoir avec tous ses accessoires et tuyaux desservant plusieurs pièces d’une valeur de 1000 francs,
– un fourneau établi dans la foulerie avec sa chaudière en cuivre usé, un séchoir au-dessus dudit fourneau et les ? d’un bassin à côté pour une valeur de 200 francs,
– un autre fourneau en briques ou calorifère établi dans la boutique des apprêteurs et ses tuyaux de chaleur desservant plusieurs étages, valeur 100 francs,
– les pieux et traverses en bois peint composant un séchoir établi dans le jardin, vestige sans doute du temps passé, d’une valeur de 150 francs,
– deux palans en fonte, établis, l’un dans le grenier au-dessus du magasin, l’autre dans le grenier au-dessus de la foulerie, pour monter les laines, 160 francs
– et dans la foulerie huit « fouloirs à bras » d’une valeur de 400 francs, deux grandes tables sur tréteaux et deux quinquets.
Les quantités de laine contenues dans les divers greniers sont considérables. Ils renferment 14643 kg (1 tonne et demie) de laine pour une valeur de 59160 francs. Ces laines sont variées, à tel point qu’elles occupent 127 lignes de l’inventaire tant leurs types et leur prix sont différents. Elles sont françaises, mais aussi étrangères, un peu allemandes et surtout anglaises, laine de Kent et d’Irlande, et espagnoles. La blousse est surtout utilisée, mais également les écouailles.
Ces laines « en grenier » ne comprennent pas les laines « mélangées à la filature », soit 2034 kg pour une valeur de 7055 francs, ni les laines « en pelotes pour tricot », soit 3555 kg pour une valeur de 17376 francs, ni les laines « en pelotes pour métier », soit 166 kg pour une valeur de 847 francs. On voit bien là que le travail effectué par les « tricoteuses » chez elles l’emporte encore sur le travail au métier.
Qu’en est-il maintenant de la marchandise fabriquée ?
– dans un grand magasin au premier étage à côté du cabinet, ou bureau, équipé de « deux lampes dites modérateur », cinq chaises de paille, 80 m2 de rayonnage et 20 m de comptoir, se sont trouvées des « marchandises pliées », à savoir : 1085 douzaines et 5 paires de chaussons de toutes sortes : casimir, mérinos, ségovie, demi ségovie, beau berry, demi berry, demi fin, assortis ou non, fourrés ou non, noir, beige, pour une valeur de 9246 francs ; et des « marchandises à plier », à savoir : 504 douzaines de chaussons pour une valeur de 3209 francs ;
– dans un autre magasin toujours au premier étage à gauche de l’escalier, équipé « d’une lampe dite modérateur », de deux grandes tables, de 30 m2 de rayonnage et de deux escabeaux, se sont trouvées des « marchandises ployées », à savoir : 768 douzaines et 4 paires de chaussons, bas, rentures (chaussettes), moufles et gants, de qualité superfin, fin, demi fin, bordé, beau berry, demi berry, petit berry, ségovie, casimir, cachemire et de couleur noir, beige, bleuté, gris bleu, pour une valeur de 6231 francs. Les couleurs font leur apparition et certaines rentures sont dites « à mollet », leur forme respectant mieux celle de la jambe. Il s’y trouve aussi des « marchandises à ployer », à savoir : 238 douzaines et 4 paires de bas, rentures, moufles et gants, beau, demi et petit berry, ségovie à mollet, fin et demi fin, blanc et beige, ainsi que 170 kg de chaussons dits de « débinage », pour une valeur de 4095 francs ;
– dans un troisième magasin à la suite du précédent, équipé là encore de rayonnages et de grandes tables, se sont trouvés des « marchandises ployées » : 416 douzaines de chaussons beau bordé, demi bordé, bordé, noir pour une valeur de 2050 francs ;
– dans la pièce dite des entrepreneurs, située au rez-de-chaussée d’un autre bâtiment, à côté de la foulerie et qui contient deux fléaux l’un en fer et l’autre plus petit en cuivre avec 78 kg de poids en fonte, un comptoir et 25 m de rayonnage, se sont trouvées des « marchandises dites en gras », à savoir : 4080 kg de chaussons pour une valeur de 24 939 francs et des chaussons mérinos faits au métier estimés à raison de 7,95 francs la douzaine, des gants cachemire de couleur à 11,50 francs la douzaine, des bas extra superfin demi drapé au métier à raison de 17 francs la douzaine et des « marchandises dites en laine » pour une valeur de 6674 francs.
Au total, toutes les marchandises fabriquées qui se trouvent dans les divers magasins de la fabrique se montent à une valeur de 59 595 francs. Si l’on y rajoute les laines (84 438 francs), la fabrique contient à cette date-là pour 144 033 francs de matières premières et produits fabriqués.
Nous ne disposons pas de l’inventaire de 1835, mais cependant nous pouvons sans trop de risque affirmer que la fabrique a considérablement progressé pendant ces 20 années. Les aménagements apportés à la maison d’habitation des Boyard nous conforte d’ailleurs dans cette idée et vont nous révéler leur style de vie.
Les aménagements apportés à l’habitation
L’acte de 1832 ne mentionne pour l’habitation qu’un « corps de bâtiment ayant seulement un rez-de-chaussée divisé en chambres à coucher et cuisine ». L’inventaire de 1855 précise que pendant la communauté avec sa seconde épouse, Célina Ancest, donc entre 1836 et 1855, « Mr Boyard a converti l’ancienne maison d’habitation en un salon, une chambre à coucher et un vestibule. Il a établi un parquet et des lambris dans les deux premières pièces, une cheminée en marbre et de nouveaux plafonds. Le vestibule a été carrelé à neuf en pavés de Linas. Les portes et fenêtres ont été refaites à neuf et le tout a été décoré de peintures et papiers neufs. Le grenier qui se trouvait au-dessus de cette maison d’habitation a été transformé en un premier étage, composé d’une grande chambre à cheminée avec deux alcôves et cabinets, d’une autre petite chambre à cheminée et d’une autre chambre froide. Un plancher au-dessus du premier étage a été établi et l’escalier conduisant à ce premier étage a été reconstruit.
Mr Boyard a construit en totalité sur l’emplacement d’une ancienne grange couverte en chaumes et en partie avec les matériaux provenant de la démolition de cette grange, un corps de bâtiment de deux espaces faisant suite au précédent et comprenant, au rez-de-chaussée une cuisine, une salle de bains avec ses tuyaux et ses robinets et au premier étage, diverses chambres avec grenier au-dessus couvert en ardoises ». Voilà qui transforme radicalement l’habitation. La modernité et le confort s’y installent avec la salle de bains, ses tuyaux et ses robinets, ses chambres à feu, son salon et sa salle à manger.
Par ailleurs, le jardin s’est agrandi par suite de d’achats de terrains mitoyens opérés pendant la première communauté, de 1827 à 1835. Si l’on excepte l’emplacement sur lequel a été établi le séchoir, le jardin se trouve divisé en trois parties : « à droite, le jardin potager entouré de murs avec hangar de deux espaces et serre ; par derrière, le bois ; à gauche, un jardin anglais ; ces deux derniers objets entourés de haies vives ».
Pénétrons maintenant à l’intérieur de la maison. La cuisine contient tous les ustensiles en usage et elle est équipée de surcroît d’un « fourneau économique en fer, fonte et cuivre » d’une valeur de 400 francs. La salle de bains possède une baignoire en cuivre, un fauteuil et trois chaises en paille, une autre en tapisserie, un panier en osier, une petite table, un pot à eau et sa cuvette, une glace dans son cadre doré, un miroir, un guéridon et deux porte-lampes en fer bronzé.
La salle à manger, dont nous avons vu qu’elle était parquetée et lambrissée, comprend une grande table ronde en noyer sur six pieds à roulettes avec six rallonges et douze chaises en noyer avec fond en laine. N’oublions pas que la famille se compose de sept personnes en permanence : Louis Boyard, sa femme Célina, Gustave, fils de son premier mariage et les quatre enfants du couple, le dernier Charles Louis Emile étant né en 1845. Il s’y trouve également un buffet en acajou à dessus de marbre à deux vantaux, une petite table à ouvrage en acajou, une petite table ronde en noyer sur quatre pieds à roulettes, deux autres petites chaises en merisier recouverte s de tapisserie, un suspensoir de lampe en bronze, une pendule en bronze et marbre représentant un groupe de deux enfants d’une valeur de 150 francs, une garniture de foyer en cuivre. Les fenêtres sont agrémentées de quatre rideaux de croisée en gaze brochée et quatre autres en croisée de coton vert et gris avec leurs embrasses, tringles et patères. La pièce est ainsi confortable et cossue.
Le salon ne l’est pas moins, dont les fenêtres portent
« quatre grands rideaux ou stores en mousseline brodée avec leurs embrasses en laine tringles et patères en acajou, 150 francs
quatre rideaux de fenêtre en mousseline brochée, 20 francs
deux ottomanes en acajou recouvertes de velours cramoisi, couvertes de leurs housses 500 francs,
quatre fauteuils en acajou forme Louis XV recouverts de velours cramoisi avec leurs housses, 380 francs
quatre chaises de même forme, 300 francs
deux autres fauteuils recouverts en étoffe de laine à fleurs avec leurs housses, 120 francs
une chaise dite chauffeuse an acajou recouverte de tapisserie, 35 francs
une étagère en acajou style Louis XV, 60 francs
deux chandeliers en cuivre doré, 40 francs
un piano en bois de palissandre avec un porte-musique en merisier, 550 francs
un tabouret de piano en acajou recouvert de velours cramoisi, 35 francs
une table de jeu style Louis XV, 60 francs
six petits tapis de pied en laine et deux descentes de lit aussi en laine, 40 francs
trois petits tabourets en tapisserie, 10 francs
une pendule et deux candélabres en cuivre doré, 540 francs
une garniture de foyer, 160 francs
une tablette de cheminée recouverte de velours cramoisi, 55 francs
une glace au-dessus de la cheminée dans son cadre doré, 200 francs
une autre glace au-dessus de l’étagère dans son cadre doré, 100 francs ».
La chambre à coucher du rez-de-chaussée comprend :
« deux couchettes en acajou moucheté, deux baldaquins en acajou avec leur dos de lits et rideaux en satin de laine à fleurs, deux couvre-lits en mousseline brodée, deux dessus en percaline rose, 960 francs
un sommier en foin recouvert de toile à carreaux, deux matelas en laine couverts de même toile, un lit et un traversin de plume d’oie entayé de coutil et un couvre-pied en indienne, 175 francs
un autre sommier idem, 185 francs
une commode formant toilette et bureau à casiers en acajou garnie de sa glace et autres objets de toilette en porcelaine et cristal, 270 francs …
deux rideaux de fenêtre en satin de laine à fleurs doublés de jaconas et garni de leurs embrasses, patères et tringles en acajou, 125 francs
deux rideaux de fenêtre en mousseline brochée avec leur giroline en coton blanc, 10 francs
deux fauteuils et quatre chaises en acajou couverts en satin de laine avec leurs housses, 300 francs ».
Le vestibule, à droite de la cuisine, dans lequel prend place une horloge comtoise, contient plusieurs placards qui renferment la vaisselle de porcelaine et le linge de maison. Seize draps de toile fine, 192 francs et seize autres usagés, 128 francs ; onze draps de toile de ménage, 110 francs et onze autres usagés, 44 francs, 17 nappes, 22 taies d’oreiller, 14 douzaines de serviettes, 42 essuie-mains, etc. quant à la vaisselle elle se compose de 21 douzaines d’assiettes en porcelaine, 63 francs, 48 verres à Bordeaux et 30 verres à champagne en cristal taille, 35 francs, 33 tasses à café, cafetières, carafes en cristal, etc.
Le premier étage est constitué de six chambres beaucoup moins somptueuses que la précédente et probablement réservées aux enfants, à l’exception de l’une d’entre elles occupée par la domestique. Sa chambre se compose d’une couchette en chêne sur petites roulettes, une paillasse en toile à carreaux, deux matelas de laine, deux draps de toile, une couverture de laine verte, un couvre-pied et une courtepointe en indienne, un buffet à deux compartiments ennoyer à quatre vantaux, une petite commode en noyer à tiroirs, deux chaises et une table de nuit.
Sa chambre n’a probablement pas de cheminée. Rien n’est dit sur ce sujet. Trois autres chambres sont dites « à feu », une est dite « froide » et la dernière contient une « cheminée prussienne », c’est-à-dire un poêle simulant une cheminée et ouvert de manière à laisser voir le feu. C’est cependant dans la chambre froide du premier étage que se trouve, dans un placard, les vêtements de Madame Boyard.
Entre autres, elle possède deux douzaines de chemises de toile et deux autres douzaines usagées, quatre douzaines de mouchoirs en fil de batiste, des jupons, camisoles en calicot ou indienne, 18 fichus de mousseline et coton, 6 pantalons en calicot blanc, 12 serre-tête en calicot, des foulards en soie et en coton, deux robes de soie noire et trois de soie de couleur, deux robes de mérinos noir, une robe de cachemire de couleur, une robe de flanelle de couleur, deux robes de mousseline de laine, deux robes d’indienne et un peignoir en indienne, deux jupons de soie noire ouatée et deux en mérinos, un châle en mérinos noir, un châle tartan et un châle en cachemire de Lyon, deux mantelets de soie, un manteau de drap, des cols garnis de dentelle ou de tulle, des bonnets, un chapeau d’hiver et deux d’été. L’ensemble de sa garde-robe est estimé à 935 francs.
La garde-robe de Monsieur ne se monte quant à elle, qu’à 283 francs et est essentiellement constituée de deux douzaines de chemises en toile fine et deux douzaines de vieilles chemises, quatre gilets de flanelle et de coton, trois caleçons en tissu de coton, trois redingotes, un habit, un manteau,d eux paletots, deux chapeaux de soie avec un étui en cuir, six pantalons et quinze gilets de diverses étoffes, cinq pantalons en étoffe de laine, six bonnets de coton et trois douzaines de mouchoirs de couleur en coton.
Madame ne porte pas beaucoup de bijoux puisque l’inventaire ne mentionne qu’une montre en or avec sa chaîne, sa clef et un médaillon en or, une broche en or, quatre bagues dont une est garnie d’un brillant, deux boucles d’oreille garnies d’une pierre, une petite chaîne et deux boutons de chemise en or d’une valeur globale de 230 francs.
Ce qui met une touche finale à cette énumération cossue, mais raisonnable, et ce qui montre la réelle culture de ces fabricants, c’est le contenu de leur bibliothèque et de leur cave. Ce sont à la fois de bons vivants et des érudits. Ils reçoivent probablement beaucoup, voyagent également, les malles sont là pour le dire, et sont ouverts au monde extérieur.
Leur bibliothèque contient 200 volumes reliés, dont les œuvres de Walter Scott, de Chateaubriand, de Lamartine de Jules Jamin, de Boileau, de Parisot, de Jean-Jacques Rousseau, de Racine, les lettres de Madame de Sévigné, les contes des mille et une nuits, les veillées du château, les fables de La Fontaine, Jocelyn, Raphaël, Manon Lescaut, Don quichotte, la vie des saints, la vie des hommes illustres, la grande ville et 97 autres volumes divers, plus 20 volumes brochés de la revue de Paris.
Quant à leur cave, elle renferme :
« 236 litres de vin rouge ordinaire, crû d’Orléans estimé avec le tonneau qui les renferme, 136 francs
430 litres de vin de Bordeaux en bouteilles en crû de Médoc et de Saint-Estèphe estimés avec leur verre, 574 francs
170 litres de vins fins, rouge et blanc, en bouteilles, notamment Sauterne, Chambertin, Vieux Bordeaux, Pommard et Taurens, estimés avec leur verre, 226 francs
45 litres de cidre, poiré, crû de Normandie prisés avec leur verre, 30 francs
32 litres d’eau de Seltz, eau de Saint-Galmier et autres, prisés avec leur verre, 15,65 francs
25 kg d’huile d’olive prisés avec le baril qui les renferme, 75 francs
2 kg d’huile de pied de bœuf estimés avec le vase qui les contient, 3,50 francs
9 litres de légumes fins prisés avec leur verre, 18 francs ».
Dans la cour sous la remise se trouvent un tilbury, un cabriolet et une voiture à quatre roues estimée à 600 francs.
Ces fabricants, car les Boyard ne sont pas les seuls, il y a aussi les Dujoncquoy et d’autres dont les livres de compte nous disent assez les biens qu’ils possèdent, ces fabricants vont attirer à Pussay, dès la deuxième moitié du siècle, une foule de commerçants et d’artisans qui vont rapidement prospérer et nous vous renvoyons au chapitre commerce dans la vie quotidienne, pour vous en donner une idée. Bientôt aussi de nombreux ouvriers vont monter de la province pour venir s’embaucher dans leurs futures usines.
Titres et papiers
Le montant total de l’inventaire s’élève à 168 506,67 francs, dont 16 219,35 francs concernent la maison d’habitation proprement dite et 152 287,32 francs concernent la fabrique. Il a tout de même duré trois jours de 9 heures du matin à 6 heures du soir et il en faudra deux de plus, en mars, pour inventorier les titres et papiers.
Ces derniers nous permettent d’ailleurs de connaître le montant global de l’inventaire effectué en septembre 1835, après le décès de Marie Anne Caroline Vernois, première épouse de Louis Boyard, à savoir 24 425,08 francs de l’époque en 1835, donc 20 ans auparavant. Pour pouvoir comparer les deux chiffres, il faudrait connaître l’évolution du cours du franc sur cette période. Louis Boyard possédait alors en deniers comptants : 660 francs, les créances actives se montaient à 62 947,55 francs, parmi lesquelles Mr Boyard considérait comme d’un recouvrement douteux diverses valeurs s’élevant ensemble à la somme de 11 760,55 francs. Ce en quoi il se trompait car 20 ans plus tard, sa veuve déclare qu’il a recouvré la totalité de ces créances. Le passif s’élevait à 46 074,50 francs, ayant pour cause notamment des achats de marchandises, des emprunts et le prix d’un jardin.
A l’inventaire de 1855, Madame Boyard possède en deniers comptants, 26 405,25 francs, « qu’elle a exhibé à l’instant au notaire en vingt six billets de la banque de France de mille francs chacun, vingt pièces d’or de chacune vingt francs, une pièce de cinq francs en argent et vingt cinq centimes en monnaie ».
Les créances actives se montent à 28 814,98 francs essentiellement en prix de marchandises auprès de divers négociants de Versailles, Rouen, Evreux, Le Mans, Orléans, Tours, Paris, Brest Sens, Caen, Poitiers, Lyon et des alentours de Pussay. La plus grande, d’un montant de 5000 francs concerne un négociant de Paris, une autre de 2847,25 francs un négociant de Toury, une de 2111,95 francs, un négociant de Rouen. Il y a en tout 44 lignes de créances.
Les dettes passives s’élèvent à 43 578,59 francs, dont 11 489,90 sont réclamés par M. Lemoine, filateur de laine à Saclas et le reste par divers fournisseurs, marchands de laine, de bois, de toiles, de plumes métalliques, des teinturiers, architecte pour de menues sommes. La domestique des Boyard, Désirée Boulommier y figure pour 205 francs, ainsi que « pour gages courants depuis le 24 juin dernier jusqu’au 31 décembre aussi dernier à raison de 360 francs par an », de même que la cuisinière Pauline Romillon.
La commune de Pussay s’y inscrit également pour un total de 768 francs : 518 francs pour le montant d’une souscription volontaire faite par Mr Boyard en faveur de la reconstruction du presbytère et 250 francs qu’il a touché de MM. Witersheim, Delaigne, Féau-Béchu et Terpreau pour la même destination.
La dette principale s’élève à 29 036,59 francs et intéresse Gustave Boyard, fils de Louis et de sa première épouse, pour prêt fait à son père depuis son émancipation avec des deniers provenant de la succession de Madame Vernois, sa grand-mère. Gustave avait été émancipé par son père, par acte du 20 avril 1853, auprès du juge de paix du canton de Méréville. Il était assisté pour cet inventaire de Léon Pesle, fabricant de couvertures à Orléans, curateur à son émancipation, nommé à cette fonction par le conseil de famille. Il était également son oncle par alliance du côté maternel.
Louis Boyard, homme public
Louis Boyard s’implique également dans la vie de la commune. Il est élu conseiller dès le premier tour de scrutin le 12 octobre 1834, lors du renouvellement de la moitié des membres du conseil, avec 31 voix sur 96 inscrits et 60 votants. Il est nommé adjoint par arrêté préfectoral du 18 février 1840. M Boyard nommé adjoint en 1840 et ayant au moment de son installation refusé les dites fonctions.
Au renouvellement du 31 mai 1840, il est réélu au premier tour, avec 52 voix sur 91 inscrits et 60 votants, mais ayant refusé précédemment les fonctions d’adjoint au moment de son installation, le sous-préfet ne le représente pas au préfet comme adjoint. Louis Bertrand Gry est alors proposé au poste de maire et Eugène Philibert Forteau au poste d’adjoint. Il est à nouveau élu en 1846, au deuxième tour avec 32 voix sur 92 inscrits et 64 votants.
Au renouvellement intégral de 1848, il est élu au deuxième tour avec 106 voix sur 269 inscrits et 206 votants. Cette élection se faisant au suffrage universel masculin et non plus censitaire comme auparavant, ce qui explique l’augmentation du nombre des inscrits. Il est nommé adjoint. C’est aux élections suivantes de 1852, où il est élu dès le premier tour, qu’il devient maire. Pas pour longtemps, puisqu’il meurt le 30 décembre 1854, alors qu’il est « fabricant de bonneterie », tout comme son fils Gustave, qui le suit de peu, le 24 juillet 1855, alors qu’il n’est âgé que de 20 ans.
Louis Boyard, homme privé
Le testament de Louis Boyard et ses deux annexes nous rappellent justement qu’il ne faut pas considérer que la réussite professionnelle de ces fabricants de bas du 19ème siècle, mais qu’il faut aussi tenir compte du travail, des efforts et des tourments qu’elle a engendrés. Au regard de ces derniers, elle fut amplement méritée.
« Ceci est mon testament
Je soussigné Louis Henry Boyard fabricant de bas demeurant à Pussay voulant profiter du droit que la loi me donne de choisir un tuteur à mon fils dans le cas où je viendrais à décéder avant qu’il n’ait atteint sa majorité, nomme à l’effet de remplir ces fonctions M Jean Louis Michau entrepreneur de bâtiments demeurant en ce moment à Paris rue d’Enfer n° 75, c’est le parrain de mon Gaston et mon meilleur ami, je suis sûr qu’il acceptera et qu’il remplira ces fonctions comme je le désire.
Je confirme par ce présent la donation que j’ai faite à ma femme par contrat passé devant Me Brinon notaire à Gommerville le 12 juillet 1838, enregistré, je désire seulement que si je viens à mourir avant que mon neveu et filleul, Henry Forteau, n’ait tiré au sort, que ma femme l’assure des chances du tirage ou lui compte une somme de douze cent francs pour le récompenser de son travail depuis qu’il est à la maison.
Je désire encore que mon fils ait la timbale de mon grand Papa Boyard dans laquelle je bois ainsi que le petit flacon à l’eau de vie, qu’il se rappelle qu’ils ont appartenu au plus honnête homme du monde et qu’il tâche de l’imiter.
Ma Bathilde aura le petit tableau représentant une Magdeleine qui m’a été donné par ma grande Maman Boyard et le collier de grenat que Madame Forteau doit me donner et qui vient de Maman. Bathilde pourra se rappeler aussi que ce collier a appartenu à la femme la plus vertueuse et à la meilleure des mères.
Tous mes enfans me sont chers mais ces objets sont donnés à ceux-là parce qu’ils sont les aînés et comme simple souvenir de famille.
Fait à Pussay le neuf octobre mil huit cent quarante quatre
Boyard fils
P S J’engage mon Gustave à ne pas oublier qu’il est l’aîné et qu’il devra remplacer son père auprès de ses sœurs et de ses frères s’il lui en vient surtout s’ils venaient à avoir le malheur de perdre leur maman, j’espère bien qu’il continuera à les aimer et que comme son père il trouvera tout son bonheur dans les liens de la famille.
Ledit Boyard fils »
« Ceci est pour faire suite à mon testament et donner quelques conseils à ma femme si elle me survit.
Je pense qu’elle fera bien de ne pas continuer le commerce, cependant je vais faire tous mes efforts pour lui laisser la fabrique dans le meilleur état possible et je crois qu’avec l’aide de Henry elle pourrait continuer en attendant qu’elle trouve une occasion favorable pour céder dans ce cas là elle aurait soin de restreindre un peu les affaires pour les faire mieux, le contrat de mariage lui donne des facilités pour conserver l’établissement et elle trouvera j’aime à le croire de la part du tuteur de Gustave des dispositions bienveillantes qui lui permettraient de prendre avec lui des arrangements raisonnables.
En cédant l’établissement, il faudrait vendre la maison, j’estime que la maison et le clos valent trente mille francs, les ustensiles de fabrique et la clientèle dix mille francs, il ne faudrait pas faire une concession de plus de cinq mille francs sur ces deux objets et avoir soin d’obtenir toutes les garanties nécessaires de la part des parties.
Je demande pardon à ma femme des torts que j’ai pu avoir envers elle, je lui pardonne aussi de mon côté les chagrins qu’elle a pu me causer, je ne les ai attribué qu’à son caractère et à l’état maladif dans lequel elle se trouvait dans ces moments-là sachant bien que son cœur n’y était pour rien. Je la remercie de tout mon cœur de tout le mal qu’elle n’a cessé de se donner pour aller au devant de tout ce qui pourrait me faire plaisir et me rendre la vie heureuse. Je n’ai pas besoin de lui recommander de continuer à Gustave l’attachement qu’elle a pour lui, je m’en irai bien plus tranquille en emportant l’espoir que cet attachement sera continué de part et d’autre. J’espère que mon Gustave n’oubliera jamais que sa petite maman a eu pour lui les soins d’une mère véritable et c’est un bien inappréciable pour celui qui a été assez malheureux de perdre sa mère de retrouver quelqu’un qui fait tous ses efforts pour la remplacer.
Je renouvelle à mon cher Gustave les conseils que je lui ai donné et ce que j’attends de lui par rapport à ses sœurs et à son petit frère qui vient de lui arriver, celui-là ne lui sera pas moins cher que ses sœurs ; c’est même une consolation pour moi de penser combien son amitié et ses conseils pourront être utiles à son jeune frère si je n’y étais plus. Fait à Pussay le 19 janvier 1845.
Boyard fils »
« Ceci est pour servir et annexer aux dispositions testamentaires prises en 1844 et 1845 auxquelles je ne change rien et que je … par ces présentes j’ajoute seulement que bien que j’aie la plus grande confiance en Me Fauconnier notaire à Gommerville auquel je fais le dépôt de mes testaments je désire que Me Barbier notaire à Angerville mon parent et mon ami soit appelé non pas pour contrôler les actes de Me Fauconnier mais pour de concert avec lui faire ce qui sera le mieux dans les intérêts de ma femme et de mes enfans désirant que le tout se passe en famille.
Je désire que trois copies de mon portrait seront faites et données l’une à mon ami Charles Fremy comme souvenir de son vieil et meilleur ami l’autre à ma sœur madame Forteau et la dernière à ma sœur madame Bernier et si ces deux dernières n’existaient pas à l’aîné de leurs enfans.
Quant au portrait lui-même c’est pour ma femme et mes enfans que je l’ai fait, ma femme le conservera bien entendu tant qu’elle existera, ensuite je crois qu’il sera bien que l’original soit pour l’aîné des enfans existants et des copies pour mes autres enfans qui voudraient aussi avoir le portrait de leur père.
Fait à Pussay le 18 décembre 1848
Boyard fils.
P.S. Je viens de traverser une révolution qui compromet un peu ma position, je le regrette surtout pour ma femme et mes enfans je serais pourtant bien heureux si je pouvais leur laisser un peu de bien être et de l’éducation à mes chers enfans, c’est là toute mon ambition, je demande à dieu quelques années d’existence et de santé pour arriver à ce résultat. La santé de ma petite femme m’inquiète aussi depuis quelque tems, je demande au ciel qu’il la conserve à ses enfans, ce serait trop si tous deux devions leur être enlevés. Enfin j’ai foi et j’espère en la divine providence.
Le 18 décembre 1848, Boyard fils ».
A l’époque où il fait son testament, en 1844, Louis Boyard n’est âgé que de 45 ans. Pourtant il pense intensément à sa mort et s’inquiète du sort des êtres qui lui sont chers si elle survient :
– en premier lieu son fils Gustave âgé de 9 ans et né de son premier mariage, auquel il donne pour tuteur, un ami sûr et selon ses souhaits ;
– en second lieu sa femme à laquelle il confirme sa donation de 1838 ;
– en troisième lieu son filleul auquel il souhaite éviter un mauvais tirage au sort ou à défaut le récompenser pour son travail à la fabrique.
Le souci de ses proches, de leur bien être, du mal qu’il peut leur causer, de l’éducation de ses enfants est constant chez lui et tient une très grande place.
La mort de sa femme ne le tourmente d’ailleurs pas moins que la sienne et il demande à Dieu de ne pas permettre qu’elle puisse laisser ses enfants orphelins. Sa santé est probablement fragile, mais il faut aussi se rappeler que l’épidémie de choléra date de 1832, que la maladie est alors constamment présente, c’est d’ailleurs de maladie que Louis Boyard décède à 55 ans, que sa première femme est morte très jeune après l’accouchement de son troisième enfant et ayant perdu les deux premiers et que sa seconde épouse ne semble pas non plus posséder une excellente santé.
C’est un homme sentimental, très attentionné envers son entourage et qui éprouve un profond respect pour son grand-père qualifié de « plus honnête homme du monde », pour sa grand-mère et sa mère, « femme la plus vertueuse et à la meilleure des mères », mais il ne parle pas de son père. Louis n’avait que 15 ans, lorsque son père Charles a disparu de son domicile pour cause de faillite en cette année 1814 si difficile pour toute la famille. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’il soit très attaché aux liens de la famille et veuille tout mettre en œuvre pour épargner à celle-ci une situation difficile.
C’est l’objet de sa première annexe essentiellement destinée à prodiguer des conseils à sa femme sur la poursuite de ses affaires. Là, un an plus tard, en 1845, il est par contre étonnant de le voir l’inciter à ne pas continuer le commerce et à vendre la fabrique au cas où il disparaîtrait, « cependant je vais faire tous mes efforts pour lui laisser la fabrique dans le meilleur état possible ». Le second quart du 19ème siècle voit la pleine expansion des fabriques, mais vers 1843, les statistiques industrielles précisent que « le prix des marchandises a diminué par le fait de la concurrence et cependant, le prix des matières premières n’a pas baissé. Les fabricants travaillent sans bénéfice… La prospérité des fabriques de bas de Pussay s’est un peu ralentie » et la douceur de la température n’est pas propice à la vente.
Sa seconde annexe laisse clairement transparaître son inquiétude face à la « révolution » de 1848 qui « compromet sa position ». Son post-scriptum est pathétique et montre bien à quel point il est tourmenté.
La plupart de ces dispositions testamentaires se trouvèrent caduques, puisqu’il vécut suffisamment longtemps pour émanciper son fils Gustave et que son filleul satisfit au tirage au sort pour le service militaire. Quant à la fabrique, nous allons voir qu’elle va prendre un bel essor.
Pendant sa dernière maladie, sa femme fit appel au médecin d’Angerville, le docteur Buisson, pour un montant de 79 francs, au médecin de Blois, le docteur Piart pour un montant de 129 francs et à M. Thiercelin, pharmacien d’Angerville pour un montant de 10,25 francs.
Les frais funéraires s’élevèrent à 410,70 francs, dont 140 francs pour le curé de Pussay, 26 francs pour les porteurs du corps, 104 francs à M. Vassort-Langlois, épicier, pour les luminaires, 50 francs à M. Lerondeau, menuisier, pour le cercueil, 49 francs à M. Pesty, imprimeur à Orléans, pour impression de lettres et 41,70 francs pour leur affranchissement.
L’association Boyard-Brinon
La succession est dans un premier temps assurée par Célina elle-même. Ses filles ne sont âgées que de 17, 15 et 12 ans et son fils Louis Charles Emile de 9 ans. Dans tous les actes de cette époque elle est présentée comme « fabricante de bonneterie ». L’annuaire de Seine-et-Oise de 1856 mentionne d’ailleurs la fabrique sous l’appellation « Veuve Boyard » ; 10 ans plus tard, il indiquera « Boyard et Brinon ».
Entre temps, sa fille, Bathilde, épouse Adolphe Brinon, le 24 septembre 1855. Il est né à Mer (Loir-et-Cher) le 3 janvier 1831, est ex principal clerc de notaire et actuellement commis fabricant de bonneterie à Pussay où il demeure. Le contrat de mariage stipule que l’époux apporte ses habits, linge et hardes à son usage personnel étant en sa possession et provenant de ses économies d’une valeur de 800 francs. Ses parents le dotent de 8000 francs en argent dont 3000 ont déjà été payés au futur époux, le reste lui sera versé dans le délai de deux ans à partir de la célébration du mariage.
L’épouse apporte 1500 francs en la valeur des habits, linge, hardes, bagues et bijoux à son usage personnel étant en sa possession et lui provenant de ses économies et ses droits mobiliers et immobiliers non encore liquidés ni déterminés dans :
1 – la succession de son père pour un sixième
2 – la succession de Gustave Marie Amédée, son frère, décédé en minorité et sans postérité le 24 juillet 1855 dont elle est héritière pour un quart.
Le futur époux fait donation entre vifs et irrévocable à la future épouse pour le cas où elle lui survivrait de la pleine propriété d’une somme de 2000 francs à prendre sur les biens de la succession.
Le même jour, une société est créée entre Célina Ancest, fabricante de bonneterie et Adolphe Georges Brinon, commis fabricant, demeurant tous deux à Pussay. Nous donnons ci-après l’intégralité de l’acte, car il est significatif à bien des égards, en particulier sur le droit et l’aptitude des veuves à gérer une affaire et sur le choix de sa carrière laissé au fils de famille. Rappelons cependant que si l’inventaire des biens de la communauté Boyard-Ancest a été effectué, l’adjudication de ces biens n’a pas encore été faite.
Article 1
Il y aura entre Made veuve Boyard et M. Brinon une société en nom collectif, pour la fabrication de bonneterie de laine et le commerce y relatif, par continuation de l’établissement de ce genre, ci devant exploité par M. Boyard fils, et actuellement par Made Boyard, sa veuve.
Article 2
Cette société durera huit années. Elle commencera le 1er janvier 1856 et finira le 1er janvier 1864, sauf ce qui sera dit ci-après, sous l’article 15.
Article 3
La raison sociale sera : Veuve Boyard fils et A. Brinon.
Article 4
Le siège de la société sera dans la maison sise à Pussay actuellement occupée par Made Veuve Boyard, indivise entre elle et ses enfants mineurs, mais dont elle est locataire pour un laps de temps expirant le 1er janvier 1864, moyennant un loyer annuel de six cent francs, en vertu de la stipulation contenue dans son contrat de mariage avec M. Boyard, passé devant Me Brinon, notaire à Gommerville, le 15 juin 1836.
Article 5
Chacun des associés aura la signature société, mais il ne pourra en faire usage que pour les affaires de la société.
Article 6
Les associés auront droit dans la société, savoir :
Made Veuve Boyard à deux tiers
Et M. Brinon à un tiers
Article 7
Le capital social est fixé à 120 000 francs qui seront fournis par les associés selon leurs droits respectifs dans la société.
Article 8
Pour former sa part du capital social, Made Veuve Boyard apportera dans la société, les ustensiles, matières premières, marchandises brutes et fabriquées qui pourront lui appartenir lors du commencement de la présente société. La valeur de ces objets sera fixée, savoir :
quant aux ustensiles, par la prisée qui en a été faite en l’inventaire après le décès de M. Boyard dressé par Me Jacob, notaire à Angerville, en date au commencement du 23 janvier dernier
pour les matières premières, par le prix porté aux factures
et pour les marchandises brutes et fabriquées par le prix de revient déterminé à l’amiable ou par experts, sauf la diminution occasionnée par la détérioration de quelques-unes des marchandises s’il y en a
Made Veuve Boyard apportera également à la société :
1 – son droit au bail de la maison et ses dépendances formant le siège de l’établissement pour le temps qui en reste à courir, à partir du 1er janvier prochain, à la seule charge par ladite société de supporter les loyers quelqu’en soit le montant, d’exécuter toutes les autres conditions de la location pendant le même temps.
2 – et la clientèle de son établissement actuel, sans exception et sans indemnités.
M. Brinon devra apporter en argent à la société les 40 000 francs, montant de sa part de la mise sociale. Il en fera le versement au commencement de la société.
Article 9
Il ne pourra être fait par l’un des associés, aucun versement dans la société au-delà du capital sus fixé, si ce n’est du consentement de l’autre, mais toutes sommes versées avec ce consentement, produiront en faveur de l’associé créancier, des intérêts au taux de cinq pour cent, par an, payables annuellement ; ces sommes ne pourront être retirées de la société par le créancier qu’une année après en avoir prévenu son co-associé.
Article 10
Les charges de la société comprendront notamment :
Le loyer de la maison et les réparations d’entretien,
L’entretien et le renouvellement, s’il y a lieu, des ustensiles de fabrique
L’achat des matières premières,
Le salaire des ouvriers,
Les frais de voyage dans l’intérêt de la société et généralement, tous les frais relatifs à la fabrication et au commerce,
Les dépenses de nourriture et autres ainsi que l’indemnité d’entretien du mobilier, selon ce qui sera dit sous l’article 14 ci-après
Article 11
Chacun des associés prélèvera sur les fonds de la société et sur les bénéfices présumés de l’année courante, pour ses dépenses personnelles, au fur et à mesure de ses besoins, les sommes qui lui seront nécessaires, sans pouvoir excéder, savoir :
Made Boyard, une somme de 4 000 francs
Et M. Brinon, celle de 2 000 francs
Le tout pour chaque année.
Article 12
Après les dépenses et prélèvements, les bénéfices seront partagés chaque année entre les associés, selon les dispositions de l’article 6 ci-dessus.
Article 13
Chacun des associés s’occupera exclusivement de la fabrication et du commerce, objet de la société, sans pouvoir se livrer à aucune autre industrie.
Article 14
Les associés et leur famille auront leur logement dans la maison. La nourriture, l’éclairage, chauffage, blanchissage, gages et nourriture de domestiques, frais de réception des clients, parents ou amis et généralement toutes dépenses de ménage autres que celles de toilettes et frais d’éducation, seront à la charge de la société.
L’épouse de M. Brinon et les enfants de Made Boyard participeront aux mêmes avantages, sans indemnité, mais toutes autres charges de famille qui surviendraient à M. Brinon par la suite, seront supportées par lui.
Made Boyard sera seule chargée de la direction et de la tenue de la maison, fera les dépenses nécessaires et prélèvera à cet effet les fonds suffisants à mesure des besoins dans la caisse sociale, en les constatant ou faisant constater sur le livre de caisse.
L’épouse de M. Brinon devra seconder Made Boyard et consacrer son temps aux écritures sociales.
Made Boyard, propriétaire des meubles qui garnissent la maison et qui doivent y rester pour l’usage soit des associés soit de la société, aura droit à une indemnité de 600 francs, qu’elle prélèvera annuellement sur les fonds de la société.
Article 15
Les associés se proposant dans l’intérêt de la société de se rendre acquéreur de la maison et ses dépendances formant le siège de l’établissement arrêtent dès à présent que cet immeuble ne leur sera point personnel, que le prix en sera payé avec des fonds de la société et qu’il fera partie de l’actif social pour suivre ultérieurement le même sort que cet actif.
Dans le cas de cette acquisition la durée de la société sera par ce seul fait augmentée de quatre années et continuera même de subsister de trois ans en trois ans à moins que l’un des associés ne manifeste une intention contraire par écrit, un an avant l’expiration de chacune desdites périodes.
Article 16
Il sera fait chaque année le premier janvier, un inventaire de l’actif et du passif de la société. Cet inventaire sera arrêté et signé des associés en double original et transcrit en outre sur un registre spécial.
Article 17
Si pendant la durée de la société, l’un des associés décède, il sera statué ainsi qu’il suit :
Si c’est Made Boyard, elle pourra être remplacée par son jeune fils, pourvu qu’il soit âgé d’au moins dix huit ans. L’associé survivant et le nouvel associé auront un intérêt égal dans la société.
Si c’est M. Brinon, sa veuve aura le droit d’être substituée en son lieu et place et avoir le même intérêt que lui dans la société.
Dans le cas où l’associé décédé ne serait pas remplacé ainsi qu’il vient d’être dit, la société sera dissoute et la suite des affaires appartiendra à l’associé survivant qui deviendra de plein droit seul propriétaire de la maison et dépendances siège de l’établissement, du fonds de commerce, de l’achalandage, des ustensiles, marchandises, numéraires, créances et généralement de tout ce qui dépendra de la société, suivant la valeur qui en aura été portée au dernier inventaire sans que les héritiers du prédécédé puissent demander un nouvel inventaire ou une autre estimation.
L’achalandage ne sera en tous cas susceptible d’aucune estimation et ne sera porté pour aucune valeur.
Pour se libérer envers les représentants du prédécédé de ce qui leur reviendra après le passif acquitté, dans les objets ainsi conservés, l’associé survivant aura terme et délai, savoir :
pour l’excédent de la mise sociale, de huit mois après la dissolution, avec intérêts au taux de cinq pour cent par an, jusqu’au paiement
et pour le surplus de trois ans après ladite dissolution, et par tiers d’année en année avec intérêts au taux de cinq pour cent depuis le jour du dernier inventaire, sous la déduction toutefois des sommes que l’associé décédé aura activées depuis ledit inventaire pour ses dépenses personnelles.
Si l’associé survivant ne veut pas conserver l’établissement et la suite des affaires, la liquidation de la société se fera conformément à l’article vingt un ci-après.
Article 18
La société sera dissoute avant le terme fixé pour sa durée, sur la demande de l’un des associés, mais seulement après la confection de l’inventaire annuel ordinaire du premier janvier qui suivra cette demande, pourvu que ladite demande ait été formée au plus tard le premier mai qui précèdera ledit inventaire. Dans ce cas la liquidation sera faite conformément à l’article vingt un, à moins que l’autre associé ne préfère user de la faculté de conserver seul l’établissement et tous les accessoires tels qu’ils sont définis dans l’article précédent : auquel cas les droits de l’associé qui se sera retiré seront fixés définitivement par l’inventaire qui aura lieu au moment de la dissolution de la société.
L’associé qui conservera ainsi toutes les valeurs sera tenu de se libérer envers celui qui se sera retiré, savoir :
pour l’excédent de mise sociale, à l’expiration d’une année après la demande qui aura été faite conformément à l’article neuf, si cette demande a eu lieu avant la dissolution ; sinon une année seulement après ladite dissolution
et pour le surplus, par tiers, dont un tiers au bout de deux ans, un tiers de trois ans et le dernier tiers de quatre ans après la dissolution de la société.
Le tout avec l’intérêt au taux de cinq pour cent, par an, sans retenu, à partir du jour de cette dissolution, payable annuellement.
L’associé qui se sera retiré ne pourra directement ou indirectement faire le même commerce pendant cinq années si l’autre associé a conservé l’établissement. La société sera encore dissoute en cas de perte d’un tiers du capital social.
Article 19
Made Veuve Boyard se réserve le droit pendant la durée de la société, à telle époque que ce soit, de se substituer dans la société, pour la totalité ou la moitié de sa part sociale, un gendre ou son jeune fils, pourvu qu’il ait au moins dix huit ans et même son fils et un gendre en même temps.
La part de chacun des associés quel qu’en soit le nombre sera égale.
Made Boyard pourra alors retirer sa mise sociale pourvu que les associés qui la remplaceront aient fourni une somme égale à celle qui lui reviendra.
Made Boyard réserve expressément pour son fils Charles Louis Emile Boyard, actuellement âgé de dix ans et demi, le droit d’entrer dans la société, soit pour moitié, soit pour un tiers selon qu’il se trouvera en le comprenant deux ou trois associés pourvu qu’il adopte cette carrière et qu’il exerce ce droit de dix huit à vingt cinq ans.
Article 20
Toutes les stipulations du présent acte sont applicables aux nouveaux associés, sauf celles relatives au logement et à la vie en commun qui devront être modifiées, d’accord entre les intéressés ou sur l’avis des experts dont il sera parlé plus loin.
Et en cas de décès des nouveaux associés, les veuves auront le droit de remplacer leurs maris et d’avoir les mêmes intérêts qu’eux dans la société.
Article 21
Dans le cas de dissolution et de liquidation de la société, les objets susceptibles de division seront partagés entre les associés ou leurs représentants et les objets non susceptibles d’être partagés seront licités.
Article 22
Toutes difficultés entre les associés à raison des affaires de la société, soit pendant sa durée, soit lors de sa dissolution seront jugées par deux arbitres qui en cas de dissentiment pourront s’adjoindre un tiers arbitre.
Ces arbitres et tiers arbitres seront nommés à l’amiable par les intéressés, ou en cas de refus, par M. le Président du tribunal d’Etampes, à la requête du plus diligent d’entre eux.
La décision des arbitres et tiers arbitres, sera définitive : les parties promettant de s’en rapporter à leur jugement et renonçant à tous appels et recours en cassation.
Article 23
Le présent acte de société sera publié conformément à la loi.
Tout pouvoir est donné à cet effet au porteur d’un extrait ou expédition
Adjudication des biens définis à l’inventaire
Un jugement du tribunal de première instance d’Etampes en date du 22 novembre 1855 ordonne qu’il soit procédé, en la maison d’école de Pussay à la vente sur licitation aux enchères publiques :
1er lot : d’une grande maison servant à usage de fabrique située place du carrouège, dont description suit, passage conduisant de la cour au chemin circulaire du bourg et jardin situé en dehors du chemin circulaire et en face du passage ; mise à prix : 29 500 francs ;
2ème au 25ème lots : de 5 hectares de terres labourables, dont description suit.
Cette vente a lieu le 13 janvier 1856. Une seule enchère est mise à 30 000 francs, pour le premier lot ainsi adjugé conjointement et indivisément à Célina Ancest, veuve Boyard, et Adolphe Brinon, pour le compte de la société commerciale existant entre eux aux termes de l’acte passé le 23 septembre 1855.
Les lots de terre sont plus disputés. Les 5 hectares sont divisés en 24 parcelles, dont la mise à prix va de 15 à 500 francs. Le 2ème lot, par exemple, mis à prix 300 francs, est acquis par Jean-Pierre Belzacq, menuisier à Pussay, pour le compte de sa sœur, Désirée, domestique à Nantes pour la somme de 635 francs. La plupart des lots sont achetés par des ouvriers en laine. Louis Charles Hardy, ouvrier en laine à Pussay, achète les lots 3 et 13, mis à prix 750 et 450 francs, en faisant monter les enchères à 1350 et 1060 francs qu’il paye comptant le jour même.
Sur les 24 acquéreurs, on compte une domestique, huit ouvriers en laine dont trois s’adjugent deux lots, un manouvrier, un charretier, un menuisier, un jardinier, un maçon, un maître maçon, un cultivateur, un propriétaire ; les quatre autres lots étant achetés par Célina elle-même pour son compte personnel. Les ouvriers en laine de Pussay peuvent donc devenir propriétaires, et ils le deviennent aussi pour certains de leur maison, au milieu du 19ème siècle.
Le compte de tutelle de Jenny Boyard
Célina a géré les biens de sa fille Jenny pendant toute sa minorité, puisqu’elle était sa tutrice légale, et ensuite jusqu’au 15 novembre 1864. Le 23 novembre elle lui présente son compte de tutelle. Jenny avait hérité :
– pour un sixième de son père Louis Henry, puisque sa mère était donataire d’une part d’enfant
– et pour un quart de son frère consanguin Gustave, seul enfant issu du mariage de Louis Henry et Marie Anne Caroline Vernois.
Ses droits dans ces différentes successions s’élevaient donc à la somme de 52 499,06 francs et il lui a essentiellement été attribué et abandonné les valeurs suivantes :
– la somme de 20 433,04 francs à prendre sur plus forte somme, dont Madame veuve Boyard était comptable pour le montant de la prisée de tous les objets mobiliers et deniers comptants, constatés en l’inventaire après le décès de M. Boyard son mari et conservés par elle en vertu de l’une des clauses de son contrat de mariage ;
– la somme de 1 625 francs à prendre dans le prix des terres adjugées par Me Jacob le 13 janvier 1856 ;
– la somme de 9 742,41 francs, formant le tiers du prix principal, moyennant lequel, suivant le même procès-verbal, il avait été adjugé à Madame veuve Boyard et à M. Brinon sus-nommé, pour le compte de la société commerciale existant entre eux, une maison sise à Pussay grande rue et toutes ses dépendances plus un jardin sis audit lieu, étant expliqué que d’après ce procès-verbal lesdits prix avaient été stipulés exigibles en trois termes égaux, le premier novembre de chacune des années 1856, 1857 et 1858, avec l’intérêt au taux de 5 % par an, sans retenue, à partir du 1er janvier 1856.
– 20 290 francs à prendre sur une créance de 30 435 francs composée de 20 000 francs en principal dus par M. Charles Louis de Laporte, comte de Lissac, propriétaire et Madame Louise de Maussac comtesse de Lissac, son épouse, demeurant ensemble au château de Lissac commune de Cessonne, canton de Larches, arrondissement de Brives (Corrèze) en vertu d’un acte passé devant Me Petard-Grandcour et Lucas notaire à Orléans, le 29 mars 1846.
Bien sûr, Jenny ne disposait pas de ces sommes qui restaient dans la famille et la société. Cependant, à la veille de son mariage avec Louis Bertrand Gry, un autre fabricant de bas de Pussay, le 26 août 1866, sa mère reconnaissait lui devoir la somme de 48 013,05 francs et stipulait les modalités de remboursement.
La fin d’une époque
Lors de la création de la société « Veuve Boyard fils et A. Brinon » en 1855, Célina s’était réservé « expressément pour son fils Charles Louis Emile Boyard, actuellement âgé de dix ans et demi, le droit d’entrer dans la société, soit pour moitié, soit pour un tiers selon qu’il se trouvera en le comprenant deux ou trois associés pourvu qu’il adopte cette carrière et qu’il exerce ce droit de dix huit à vingt cinq ans » ; ce qui semble s’être réalisé.
En 1875, l’établissement « Mme Veuve Boyard et Brinon » emploie 75 ouvriers, alors que celui de MM Dujoncquoy-Jaquemet-Bigot en emploie 65 et que MM Langlois-Marcille en emploie 20. Un an plus tard, MM Dujoncquoy-Jaquemet-Bigot emploie 90 ouvriers, de même que l’établissement que les statistiques dénomment maintenant l’établissement de « MM Brinon et Boyard Fils ». Il est probable que Célina, qui a alors 60 ans, ait passé la main à son fils.
Ce qui est sûr, c’est qu’une société est créée le 3 janvier 1880 entre Adolphe Georges Brinon et Charles Louis Emile Boyard, pour la fabrication et le commerce de bonneterie de laine, sous la raison sociale « Vve Boyard Fils et A. Brinon », au capital de 120.000 F, fourni par moitié par les deux associés, M. Brinon se réservant le droit de s’adjoindre son gendre Georges François Gry. En 1881, cette société emploie 150 ouvriers, 60 de plus qu’en 1876.
L’association entre Adolphe Brinon et Charles Louis Emile Boyard ne dure pas. Le 1er janvier 1883, elle est dissoute, ce dernier s’étant installé fabricant de bas et de couvertures à Orléans. A la même date, est créée pour 18 ans, la société A. Brinon et Georges Gry, au capital de 120.000 F, le siège social étant celui de la maison Vve Boyard fils et A. Brinon. Elle était constituée par l’association de deux établissements :
– celui de MM Brinon et Charles Louis Emile Boyard sous la raison sociale « Veuve Boyard fils et A. Brinon »,
– et celui de Mme Rose Virginie Irma Belzacq, épouse de M. Brinon, sous la raison sociale « Veuve Louis Buret ».
Sources :
Archives départementales des Yvelines : statistiques industrielles, 15M2, 15M4, 15M5
Archives départementales de l’Essonne : élections, 3M169 ; archives notariales, 2E46-253, 2E46-257, 2E46-164, tribunal 3U2008 et 2009
Archives départementales de l’Eure-et-Loir, 2E27-348 et 346
Archives municipales de Pussay pour les actes d’état civil
Archives privées de la famille Meunier-Gry pour les photographies et compte de tutelle
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Commentaire :
Guillaume Bazin le 06/07/2011
Bonjour,
J’ai consulté cet article qui m’a permis d’approfondir les recherches que je mène sur la famille de Louis Bazin, fils d’Edmé Bazin, négociant en bonneterie au XIXè à Paris, mentionné ci-dessus.
Le paragraphe relatif à la bonneterie de l’Aube m’intéresse vivement. Auriez-vous plus d’informations sur les activités Bazin de Méry-sur-Seine et sur la généalogie de cette famille ?
D’avance, merci.
Guillaume Bazin
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