Topographie F. Boncerf

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Suite de la topographie médicale de l’Hôtel-Dieu de la ville d’Etampes au 26 Août 1788

Observations et réflexions topographiques et médicales d’une partie du Hurepoix, du Gâtinois et d’une partie de l’Orléanois et du pays chartrain

par M.BONCERF médecin consultant et conseiller ordinaire du roi pour le bailliage royal de la ville d’Etampes.

Après avoir envoyé en 1785, la topographie de la ville d’Etampes à la société royale de médecine, j’ai cru devoir y joindre celle des pays circonvoisins, avec des détails qui me paraissent importants.

Pour procéder avec ordre, je divise en quatre parties un terrein à peu près circulaire, afin de mieux distinguer le sol, les productions et la manière de vivre des habitans de chaque canton.

Ma première division commencera d’Etampes à Dourdan Saint-Arnoult, s’étendra à Arpajon jusqu’à Corbeil et comprendra dans ce triangle tout ce qui est au nord de la ville d’Etampes, depuis le Nord-Ouest jusqu’au Nord-Est. Je ferai mes remarques sur chaque ville ou bourg et sur les villages et hameaux qui exigent quelques notes.

Deuxième division – Si l’on tire une ligne d’Etampes à Corbeil…

Troisième division – Je tire une ligne d’Etampes à Pithiviers…

Quatrième division – J’établis la dernière division depuis Etampes à Toury, route d’Orléans, bourg à neuf lieues d’Etampes, d’où je tire une ligne qui embrasse Jenville au Sel, Fresnay-l’Evêque,Saint-Peravi, Juronville, Praville, Viabon, Louville, Denonville, Ouarville, Goimpy, Sainville, Auneau, Ablis, fin du triangle, cependant irrégulier. Delà je tire une ligne qui se dirige à Etampes. Par cet arrondissement, je comprends tous les autres villages en deçà de cette ligne ; ce qui forme un canton considérable, que je connais parfaitement l’ayant parcouru nombre de fois dans tous les sens, et y ayant pratiqué la médecine avec succès.

Dans cet enclavement il n’y a ni forêt ni montagne ; il y a seulement quelques bouquets de bois. Il n’y a de vallée que celle du grand Saint-Marc, à prendre depuis Etampes jusqu’à Chalou la Reine, où il y a un étang à la source de la rivière appellée la Chalouette et entre Boutervilliers et Le Tronchet une gorge où est la source de la rivière de la Louette. J’ai parlé de ces petites rivières dans la topographie de notre ville d’Etampes. Toute cette étendue de terrein comprise dans l’enclavement de ce triangle est la belle et féconde Beauce pour la production du bled, dont une partie est appellée orléanoise et l’autre chartraine. Cette qualité de terre se prolonge dans la même fécondité pour les grains jusqu’à Chartres et jusqu’à Chateaudun mais je ne parlerai pas des pays qui sont au delà des limites que je me suis prescrites.

En sortant d’Etampes et suivant la route d’Orléans, le premier village qu’on rencontre est Monnerville, à trois lieues d’Etampes. C’est un endroit vivant, à cause du passage, des auberges et des fermes, et à cause de quelques fabricans de bas, c’est à dire des personnes qui font filer la laine, tricotter les bas et les apprêter. Ce commerce est encore plus étendu et plus actif à Pussay, Mérouville, Intréville et Oisonville, villages qui sont dans ce dernier arrondissement. Ce commerce a un inconvénient d’insalubrité dont je parlerai à l’article de Pussay.

Le second endroit est le bourg d’Angerville qui est agréable, tant à cause du passage, qu’à cause de l’urbanité des habitans, qui sont pour la plupart marchands, laboureurs et aubergistes, marchands de bas et artisans et gens de métier, de manière que cette paroisse est de plus de douze cens habitans. Ce bourg a été affligé d’une épidémie meurtrière en 1764. Elle commença dans l’hyver ; je ne fus chargé que le 2 avril de suivre et traiter les malades. Je m’y transportai jusqu’au 18 juillet deux à trois fois par semaine. Cette maladie a duré jusqu’à l’équinoxe d’automne. Les bleds humides, dénaturés, les viandes des animaux attaqués d’épizootie, qui venant des provinces du midi ne pouvaient aller jusqu’à Paris, ou qui mouraient en route, faisaient leur nourriture. La mauvaise position du cimetière, son peu de terrein qui entourait l’Eglise qui elle-même est plus basse que ce cimetière ; les maisons qui entouraient ce cimetière et l’Eglise ; les fosses des morts presque superficielles n’auront pas peu contribué à l’opiniâtreté et aux récidives de cette épidémie. Ce cimetière a été placé hors des murs du bourg d’après mes observations qui ont réveillé les philosophes ; c’est le premier pour lequel l’autorité ait été sollicitée. La révolution en ce genre est devenue presque universelle. On peut voir le précis de cette épidémie dans le second tome des observations de médecine des hopitaux militaires par Mr Richard de Hautesierck, page 223.

Lorsque je vis vers le 15 du mois de mai qu’il n’y avait plus que quelques malades dans ce bourg et plus de mortalité je crus que l’épidémie avait cessé ; je n’eus rien de plus pressé que d’en faire le récit historique et de l’envoyer avec joye et une espèce de triomphe à Mr Richard de Hautesierck. Ce précis fut trop prématuré car je fus bien stupéfait qu’après la nouvelle lune du 30 de may, l’épidémie se renouvella et continua avec fureur par intervale : phénomène qui arriva spécialement à la nouvelle lune du 29 juin ; en un mot ces variations  de calme et de renouvellement suivirent la marche lunaire, cependant en diminuant jusqu’à l’équinoxe d’automne, terme que j’avais ensuite annoncé, fondé sur l’action de ces astres, conformément au traité De Imperio follis et lunae. Je n’osais, crainte du ridicule, publier cette remarque ; mais la même observation a été faite dans l’Inde et écrite et publiée dans les journaux l’année dernière. Il est probable que dans le tems du manque de reflet des rayons solaires, la nature a moins d’énergie, vu que l’électricité est moindre localement ; d’où il arrive que l’humeur morbifique prend le dessus, par une espèce de fermentation et accable davantage les fonctions vitales, surtout quand ce délétère est, en quelque façon, identifié avec la masse des humeurs. Leur renouvellement est d’une nécessité absolue pour y couper court ; aussi cette maladie n’a-t-elle entièrement cessé qu’à l’équinoxe d’automne. La température, les fruits, les légumes, le pain fait avec d’autre bled, auront opéré cet heureux changement.

Cette épidémie était sans contredit des plus contagieuses ; M. Minot, Curé de cette paroisse, son vicaire, une garde charitable, MM les chirurgiens Godefroy et Serveau subirent cette épidémie ; la garde y a succombé, ainsi que le vicaire ; ce dernier n’a voulu suivre autre chose que d’exciter  la sueur. La charité du curé, digne pasteur, le zèle de ces deux chirurgiens, et qui ont été à toute extrémité, méritent les plus grandes éloges. L’intelligence et l’activité du sieur Delanoue, sindic, qui m’a secondé de tout son pouvoir, en faisant nettoyer les rues, curer les puits et purifier l’air par des feux aromatiques, méritent aussi des louanges, car j’avoue que sans tous leurs secours, cette épidémie aurait fait plus de progrès, en trouvant plus de résistance et moins de docilité. M. de Cypierre père Intendant d’Orléans, impatient de voir cette épidémie règner si longtemps, envoya M. Deveillac, médecin, pour examiner mon traitement et pour m’aider de ses conseils ; il emporta avec lui cet air pestiféré dans sa maison, ses enfans moururent attaqués de la même maladie, et leur malheureux père, victime de son zèle, les suivit de près. Son plan était d’insister davantage sur les saignées effectivement pendant les chaleurs les malades la supportaient mieux, souvent même elle leur devenait nécessaire ; mais lorsque l’humeur maligne se portait sur le poumon et que la maladie prenait un caractère de péripneumonie, les malades étaient perdus sans ressource, malgré les médicaments les mieux indiqués. Quant aux malades qui n’ont pas été attaqués de cette complication, j’ai remarqué qu’un large cautère dès l’invasion de la maladie ; fait avec une pâte caustique de savon noir et de chaux vive, avait mieux réussi que les vessicatoires qui fréquemment augmentaient l’effervescence et portaient à la vessie. Les deux chirurgiens ont été conduits suivant ce traitement, ainsi que plusieurs autres malades, dont le nombre s’est monté à 500 en y comprenant ceux qui ont été attaqués depuis le mois de janvier jusqu’au mois d’octobre même pendant l’année entière. De ce nombre il est mort dans l’année 1764, 73 grandes personnes, tant jeunes gens que vieillards et 28 enfants. Parmi ces 73 grandes personnes sont comprises 35, mortes dans le fort de l’épidémie, depuis le commencement d’avril jusqu’au 17 juillet, pendant lequel tems j’ai suivi cette épidémie environ trois fois au moins chaque semaine. L’éloignement et mes affaires ne me permettaient pas de plus fréquens voyages.

Pour faire une comparaison et apprécier au juste le nombre des morts de l’année de l’épidémie, je prends l’année d’avant et l’année d’après. Je vois qu’en 1763 il était mort dans cette paroisse 34 grandes personnes et 40 enfants, ce qui fait une différence de 28 morts de plus dans l’année de l’épidémie ; et qu’en 1765 le nombre des morts n’a monté qu’à 57, différence qui est de 46 de moins qu’en 1764. Ces détails qui m’ont paru importants, manquent à mon mémoire imprimé.

J’aurai probablement été critiqué par quelques praticiens, qui n’employent pour faire la limonade minérale, que l’acide sulphureux et l’acide vitriolique, pour avoir employé ou administré l’esprit nitreux, ou l’acide nitreux, dulcifié avec l’esprit devin ; mais voici sur quoi je me suis fondé dans cette préférence. 1° J’ai retenu de M. Rouelle l’aîné que les acides minéraux avaient foncièrement le même principe d’acidité, et que ce dernier a quelque chose de plus suave et moins d’astriction. De plus je remarque que plusieurs auteurs lui attribuent la vertu d’être convenable dans les fièvres tierces et double tierces. Du reste, je m’en rapporte aux Maîtres de l’Art ; mais je pense que si tous ces acides ne sont pas préparés par d’habiles chimistes, ils sont tous dangereux.

Rouvray Saint Denis est à une lieue au delà d’Angerville, sur la droite de la grande route ; c’est le village où a règné l’épidémie que M. l’abbé Tessier a traitée en 1779. Je renvoye au 3e vol des mémoires de la société royale de Médecine, page 23, où cette maladie est décrite avec le traitement et son succès.

Toury est un bourg sur la route, à 9 lieues d’Etampes ; il jouit des avantages de la grande route. Comme il est éloigné des bois, des eaux stagnantes, et que ce pays est plus élevé, on y respire un air pur et salubre. La petite ville de Jenville au Sel, qui en est à 3/4 de lieue, à droite, jouit également d’un air salubre. Ces endroits et leurs environs ne sont jamais attaqués d’épidémies, ni d’endémies. Néanmoins les habitans de Neuvy, Frênai l’Evêque, Imonville, Moutier, St Peravi, Viabon, Ouarville, Denonville, l’Etuin, sont sujets, quoique plus rarement, aux maladies courantes, surtout inflammatoires. Ils supportent mieux la saignée dans tous ces cantons, que ceux qui habitent les vallées ; la rigidité de la fibre, à cause du sol et de l’air pur et vif, exige plus fréquemment cette opération ; on y voit rarement des poitrinaires et des hydropiques.

Pour éviter la confusion, et parler des villages qui ont de la ressemblance et de l’analogie entr’eux, je recommence ma seconde direction d’Etampes en remontant la rivière de la Chalouette jusqu’à Moulineux et Chalou la Reine, à 3 lieues de cette ville, et je parle ensuite de la Beauce. Toute la vallée où cette rivière a son cours, est serrée, à commencer depuis le village du Grand St Marc ; elle est de plus ombragée, et les eaux n’ont pas leur libre cours dans nombre d’endroits. C’est pourquoi les fièvres bilieuses putrides, les fièvres réglées, les rhumatismes, les boufissures y règnent fréquemment. Quoique les vallées par lesquelles passent les rivierres de Fontenette et de la Juine dont j’ai parlé dans ma 3e division, soient moins sujettes aux inconvénients d’insalubrité, par les raisons que j’ai rapportées, les habitans de ces différents cantons y éprouvent cependant plus fréquemment des maladies que ceux qui habitent des plaines ou des endroits élevés, parce que leurs maisons sont basses, humides, au pied des collines, et parce que les vallées sont garnies de différens bois et d’arbres fruitiers, qui entretiennent une humidité continuelle.

La preuve capable de confirmer combien la stagnation des eaux est pernicieuse à la santé, est tirée d’une remarque du Sr Gidoin, ancien fermier, Receveur de la Commanderie de Chalou la Reine, où est l’étang dont j’ai fait mention ci-dessus : la ferme qu’il habitait est sur le bois élevé à l’ouest de cet étang ; il a remarqué que pendant six ans qu’il a demeuré dans cette commanderie de Malte, ses moissonneurs, qui étaient des étrangers, au nombre de douze chaque année, n’ont jamais pu finir entièrement la récolte sans tomber malade les uns après les autres ; de sorte qu’il s’est toujours vu forcé de faire achever la récolte par des journaliers du pays. Ce cultivateur intelligent a attribué les maladies à la vapeur glacée, marécageuse, qui se répand de cet étang au lever du soleil. Comme ces moissonneurs couchaient par préférence dans des écuries, où ils éprouvaient de la chaleur, ils étaient d’autant plus susceptibles de cet air malfaisant, qu’ils avaient les pores ouverts, qui se resserraient subitement, et supprimaient la transpiration ; ensuite de quoi les digestions se troublaient, ces ouvriers devenaient lourds, languissans, tant parce qu’ils étaient engoués de ce méphitisme que surchargés d’une humeur destinée aux excrétions ; ils combattaient quelques jours leur indisposition, ils s’efforçaient de travailler ; mais les humeurs fermentaient, se raréfiaient au point qu’ils succombaient dans un anéantissement qui était suivi de maladies graves qui avaient ou le caractère de fièvre maligne, ou de fièvre putride bilieuse. Ces malades, et une infinité d’autres attaqués des mêmes accidents venaient remplir l’Hôtel-Dieu d’Etampes.

Les villages de Moulineux, Chalou la Reine, Congerville qui sont voisins de cet étang, furent attaqués en 1756 de fièvre miliaire vermineuse ; et les villages de Pussay, Gommerville et Mérouville furent attaqués en 1755 et en 1756 d’une épidémie pourprée miliaire ; chaque village perdit environ 25 personnes de cette maladie. Généralement parlant les villages de Pussay, Gommerville, Intréville, Baudreville, Oysonville, Chatenay et tous les autres villages de cet arrondissement de la Beauce, où l’on fait un commerce considérable de bas de laine, ont plus fréquemment des malades que ceux où l’on cultive seulement les terres. Il est probable qu’une partie des laines qu’ils achètent pour fabriquer proviennent de moutons attaqués d’épizootie, inconvénient qui peut contribuer à altérer la santé ; de plus les atteliers trop petits, où les ouvriers foulent, apprêtent et teignent les bas, ne contribuent pas moins au dérangement de leur santé. La principale raison, selon moi, qui y produit la base d’un air malfaisant, est parce qu’on n’éloigne pas les eaux de savon qui ont servi à préparer les bas et les laines qui sont encore imprégnés de suint et de savon noir ou huile rance ; ces eaux séjournent dans les rues des villages ou dans les cours de ces manufactures, s’y corrompent et vicient l’air, qui, à son tour, trouble les digestions et infecte le chyle : ce désordre est nécessairement suivi de différentes maladies. Les ouvriers qui apprêtent les bas sont presque continuellement exposés à la fumée de vapeurs tièdes, soit des eaux de savon, soit de teintures ; d’où il résulte que quelques uns sont attaqués de boufissure ou d’hydropisie ; comme cette maladie n’est qu’accidentelle, elle est moins opiniâtre ; l’usage des toniques et des apéritifs réussit chez ceux qui sont encore jeunes. Il est heureux pour ces ouvriers qu’ils cessent leur travail dans les chaleurs de l’été, et qu’ils changent d’occupation à l’air libre. Ils font la moisson, soit pour eux, soit pour leurs marchands, fabricans, qui sont en même tems laboureurs. Le grand air, joint à une meilleure nourriture renouvelle la crase des humeurs, et les met en état de subir un nouveau choc.

Le village de Pussay, quoique situé dans une plaine est plus sujet aux inconvénients ci-dessus, parce qu’il s’y fait un plus grand commerce de bas de laine que dans toutes les autres ; C’est un des villages de la Beauce où j’ai été appelé le plus fréquemment pendant trente ans.

Tous les autres villages de la Beauce chartraine, scavoir Boutervilliers, Le Plessis St. Benoît, Auton, Mérobert, Ste Escobille, Sainville, jusqu’à Auneau et Ablis, sont à peu près dans les mêmes circonstances. Cependant ceux où il y a plus de bois, ou qui rapprochent plus des forêts de Louis et de Dourdan ont plus fréquemment des maladies. Généralement parlant les épidémies règnent plus fréquemment dans l’élection de Dourdan que dans celles qui l’avoisinent. On y voit assés souvent des fièvres putrides bilieuses miliaires ; elles y sont cependant moins fréquentes que dans les vallées ombragées et marécageuses. Je crois avoir découvert la cause pour laquelle une grande portion de la Beauce chartraine est moins salubre qu’elle ne semble devoir être au premier aspect, par sa position : il est des années où cette partie de la Beauce est couverte au printemps, d’un brouillard froid, puant, infect, qui bruine et rouit les bleds et fait subitement déveloper des milliards de pucerons dans les vesses et dans les bois. Ces exhalaisons malfaisantes partent principalement d’une petite rivierre appellée L’aconie, dont les eaux sourdent presqu’invisiblement dans un four ou petite prairie marécageuse, à côté et en deçà de Viabon, qui est environ à 9 lieues d’Etampes. Cette rivierre prenait jadis sa source à une demi-lieue plus haut près d’Imonville ; mais cet écoulement s’est perdu pour se porter plus bas par dessous les terres ; et depuis, elle vient encore de disparaître pour se porter plus bas et plus proche du village de Conie au point qu’on passe à sec les endroits où la rivierre était coulante. Il est probable que ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on a fait attention que cette petite rivierre est malfaisante : c’est sûrement ce qui lui a fait donner le nom de l’Aconie ou la Palud.

Plus bas que cette source marécageuse, il y a un endroit qu’on appelle la Grenouillère ; les eaux près St Léger ou près du château de Goimpy et dans les environs d’Auneau, qui sont stagnantes ne contribuent pas peu à augmenter l’origine de ces brouillards pestilentiels, qui se réunissent et font masse pour couvrir cette partie de la Beauce. Le vent d’Ouest leur donne leur direction suivant qu’il est un peu au Sud-Ouest, ou suivant qu’il est plus au Nord-Ouest. Il est heureux pour ce canton que ces brouillards ne se renouvellent pas tous les ans.

Les habitans qui occupent les bords de l’Aconie, où les eaux sont stagnantes, sont fréquemment attaqués de fièvres, d’obstructions, de bile épanchée, d’hydropisie et périssent misérablement : c’est pour cette raison que nos laboureurs de la Beauce en redoutent le voisinage ; ils refusent d’y louer des fermes, crainte de perdre la santé et la vie. Ceux qui sont acclimatés soutiennent mieux les chocs de ces exhalaisons ; ils éprouvent cependant des maladies plus fréquemment que ceux qui en sont à une certaine distance. Ils dépensent une partie de ce qu’ils gagnent pour se faire traiter et payer leurs chirurgiens, de manière qu’ils sont éternellement malheureux. Les environs de la paroisse de St. Léger, de Goimpy, d’Auneau (en marge : Il y a trois chirurgiens dans le bourg d’Auneau) n’éprouvent pas tout à fait les mêmes inconvénients, parce que les eaux y sont en moindre quantité et moins stagnantes. Il y a lieu de croire qu’il y a des eaux qui sont imprégnées d’un principe minéral quelconque, qui les rend ou salubres ou malfaisantes.

Cette dernière division de la Beauce était jadis une forêt immense ; mais il n’y a plus que quelques bouquets de bois, des parcs et des remises pour retirer le gibier. Après avoir tout arraché pour mettre en culture, il a été un tems où les trois-quarts des habitans de ces cantons ne chauffaient plus leurs fours pour cuire le pain, et ne faisaient bouillir leurs pots qu’avec le chaume ; mais les tems sont bien changés : tout le monde brûle du bois quoique plus rare, peu ou beaucoup suivant ses facultés : c’est une des raisons pour lesquelles il devient plus rare. Le commerce, la bonne culture des terres a opéré cette révolution qui prouve l’aisance. La Beauce dans certaines années, peut alimenter deux à trois autres provinces. Les habitans de tous ces cantons sont cultivateurs nés, infatigables, robustes, industrieux, éconômes ; mais pour le général ils sont peu propres aux sciences. Ils sont si économes qu’ils vendent l’élite de leur bled froment et qu’ils se contentent de la qualité inférieure. Quoiqu’on n’y cultive pas la vigne, on y boit du vin qu’on tire de l’Orléannais et du Gâtinois. Les arbres fruitiers ne réussissent pas dans ce canton, ni les légumes, ni les plantes potagères ; mais avec leur bled, et par le moyen de leur commerce, ils se procurent toutes les douceurs de la vie et ne manquent de rien.

Les riches laboureurs y sont comme des patriarches, entourés d’une famille nombreuse et docile, de domestiques et journaliers fidèles, dont ils sont les seconds pères bienfaisans. Cette classe se nourrit bien ; il y a un grand nombre de ces familles honnêtes qui sont naturellement humaines, charitables, qui semblent tenir de l’âge d’or ; le vice n’a pas encore gagné ces sociétés. Elles ne multiplient pas autant qu’il serait à désirer : la chereté des fermes, le prix que coûte un train de laboureur y est un obstacle. Il peut aussi se faire que le luxe qui a gagné leur amour propre à n’acheter que de beaux chevaux de prix, rende les établissements plus difficiles. Depuis que les propriétaires ont pris le parti de réunir plusieurs fermes en une seule, ils sont encore plus rares. Ce plan est contraire à la population et à la bonne culture : l’Etat en souffrira tôt ou tard.

Comme il y a nombre de siècles que les plaines de la Beauce ne cessent d’être cultivées, et qu’il semble que le sol menace de s’épuiser ; les laboureurs, pour renouveller la terre, font fouiller de la marne, qui est une terre vierge, pierreuse en apparence, mais calcaire ; ils la répandent avant l’hyver sur leurs champs ; ces masses pierreuses se fondent, se dissolvent et renouvellent le sol. Je me persuade que si on cherchait à découvrir de la terre glaise, et qu’on l’employât pour ces sortes d’engrais, elle réussirait mieux, et ferait un effet de plus longue durée. Du reste, ces essais regardent la société d’agriculture.

Le peuple  n’est pas malheureux dans la plaine beauce ; il y mange fréquemment de la viande, de bon fromage, et s’y nourrit plus solidement que celui qui habite les vallées. La récolte, plus abondante, qu’il fait du blé froment, son travail à la fabrique des bas, soit dans l’hyver, soit dans les jours de pluye, et à ses momens de loisir, lui procurent des ressources pécuniaires. Ceux au contraire qui habitent les vallées, ont plus de douceur et de variété dans la vie, pour les fruits, le laitage et les légumes, ils sont cependant moins pécunieux, par ce que chaque espèce de récolte est en trop petite quantité, et par ce que leur tems n’est pas employé dans l’hyver, et dans les tems de pluye, comme dans les villages où ce commerce est en vigueur.

Les hommes, généralement parlant, n’y sont pas d’une grande stature, mais robustes, éconômes et laborieux. Les belles femmes y sont rares : celles de la classe du peuple s’occupent la moitié de l’année à tricotter des bas ; dans l’hyver elles se rassemblent dans des caves ou dans des écuries, pour se faire compagnie, et pour épargner du bois en tricotant. Ces ???? les rendent sujettes aux douleurs d’estomac, aux boufissures et aux oppressions ; les jeunes filles y sont fréquemment attaquées de chlorosis : elles n’y sont réglées que fort tard, à 18 , 20 ans et même plus tard. Les personnes qui ne sont pas surchargées de travail, y vivent assés longtems ; l’eau dont ils font usage est l’eau de puits qui participe d’une terre séléniteuse et calcaire. Presque tous les puits de la Beauce ont commencé à tarir en 1765 ; on les a curés et creusés davantage. En 1766 ils ont encore tari, ainsi qu’en 1767, au point qu’on a été obligé d’augmenter la fouille de 4 à 5 pieds : évènement qui n’était pas arrivé de mémoire d’homme ; ce qui prouverait un dessèchement graduel de ce pays ; la nouvelle disparition des deux sources de la rivierre de l’Aconie semble encore le confirmer.

Les puits les plus profonds ont environ 32, 36 toises ; en curant il y a 7 ans celui du château Devignay, qui est dans une plaine élevée, on a trouvé un lit de coquilles de petites huîtres, à 216 pieds de profondeur ; il est probable qu’il a fallu un nombre de siècles presque innombrable pour former un pareil attérissement.

Presque toutes les mares de la Beauce tarissent dans les années de sécheresse ; lorsque l’eau s’y infecte et s’y corrompt, elle cause des maladies aux chevaux, aux vaches et aux moutons. Les derniers sont les seuls dont on fait des élèves. Les maladies auxquelles ces animaux sont sujets sont le sang, le claveau, les chanvres ; les maladies des vaches sont le crud jaune, qui selon les maréchaux, provient de la masse d’un sang corrompu ; l’entrecoeur, maladie qui se fixe au défaut de l’épaule, est un dépôt que l’on est obligé d’ouvrir ; le loup qui est une maladie qui attaque la queue et les reins ; l’étranglion qui attaque le fond de la gorge.

La plaine de la Beauce fournit jusqu’à dix sources qui deviennent ensuite de petites rivierres qui ont différentes directions ; mais la plus considérable est la Juine.

COROLLAIRE

Je me suis appliqué dans ces tableaux à peindre ce qui est désavantageux par préférence à ce qui ne peut pas manquer d’être salubre au général de la société, quoique tout soit relatif au tempérament. En effet, on voit des vieillards dans des gorges où l’air est marécageux, remplies de bois, où les feuilles des arbres et des plantes sont dans une espèce de fermentation une partie de l’année. Il est pourtant vrai de dire que s’il s’y rencontre quelques invulnérables, il y en a un grand nombre dont la position ou l’imprudence dérange la transpiration ; leur cause des rhumes, des rhumatismes, des fluxions de poitrine, des maux de gorge, des fluxions à la tête, des coliques et des fièvres éruptives.

Il résulte néanmoins de l’examen de ces différents cantons qu’en général les maladies sont plus rares dans la Beauce que dans une infinité d’autres pays ; que le peuple y est moins à plaindre. Une remarque qui paraîtra bien extraordinaire, est que si un pays est fertile, les maladies et les épidémies ne le dépeuplent que momentanément ; on y marie pour lors les jeunes gens plutôt qu’on ne l’aurait fait ; les célibataires prennent le parti de l’hymen, de manière que peu de tems après une maladie épidémique, les bourgs et villages sont aussi peuplés et même davantage qu’avant la mortalité ; les proportions s’établissent sans qu’on s’en aperçoive ; de même que lorsqu’un pays est surchargé, que le commerce n’y circule pas, il se fait des émigrations insensibles et l’équilibre renaît. On peut avancer que la Beauce étant très bien cultivée, que les habitans y faisant tout le commerce dont le pays est susceptible, une plus grande population lui serait à charge. Le point essentiel est donc d’entretenir et de soutenir cette population.

Il serait important pour ceux qui habitent le long des rivières ou des étangs, ou dans des vallées ombragées, humides, marécageuses, qu’ils rentrassent de bonne heure dans leurs maisons et qu’ils n’en sortissent qu’après le soleil levé. Si cependant ils étaient forcés de sortir pendant la nuit, qu’ils se vêtissent chaudement, et même qu’ils prissent la précaution de se garantir la tête avec un capot afin que la transpiration ne fut pas interrompue ou refoulée dans l’intérieur.

Quant à ceux qui habitent dans des fonds en forme d’anse, où le soleil darde avec impétuosité au printemps, où la chaleur devient dangereuse par la réverbération qui la multiplie, il serait très avantageux pour eux qu’ils se couvrissent la tête avec des chapeaux de paille ou autres. Comme cela se pratique dans le Lyonnais, le Dauphiné et la Provence ; ils garantiraient leurs têtes et modèreraient dans ces espèces de fours ou creusets, l’inflammation et décomposition des humeurs. Les peuples qui ont reconnu l’utilité de ces chapeaux méritent d’être imités. Dans cette saison, les plantes légumineuses et savonneuses leur conviennent pour tempérer le sang et faire couler la bile ; et s’ils en sont privés ou si la fermentation est trop impétueuse, rien ne leur convient mieux qu’une boisson faite avec le miel acidulé avec le vinaigre ; c’est une limonade peu coûteuse, pour laquelle les gens de la campagne n’ont pas de répugnance. Ils ont heureusement des vins acidulés qui y suppléent.

Donc en ce qui concerne les cantons qui sont plus sujets à produire des fièvres automates, je me persuade qu’on pourrait en préserver la plus grande partie des habitans dociles, en leur faisant user d’amers, soit vin d’absinthe fait avec absinthe et graine de genièvre, soit de décoction de racine de patience, d’enula campana, de pissenlit, de roseaux, d’infusion de chamedris, de petite centaurée ou de marube blanc.

Comme ces maladies prennent leur source dans les mauvaises digestions, dans les transpirations supprimées, les amers toniques la faciliteraient et empêcheraient l’amas des humeurs. Quoique j’aye un certain nombre d’expériences du bon effet de ces moyens, elles ne sont pas encore assez multipliées pour les annoncer comme victorieuses dans toutes les circonstances. Si au contraire les mauvais levains sont déjà passés dans le sang et qu’ils ayent épaissi la lymphe, je leur fais souvent user avec avantage, après une purgation de cresson, de cerfeuil, de carottes et d’écrevisses écrasées dans leurs pots, ensuite de quoi je passe à l’usage des amers assortis et même à l’usage du quinquina purgatif. Comme dans l’hyver on transpire moins, on est sujet aux rhumes, aux fluxions, aux maux de gorge, aux catarrhes, aux rhumatismes ; suivant que la température est plus ou moins contraire. Pour éviter ces maladies j’ai fréquemment fait faire usage avec succès de fleurs de sureau, de capitaire, de bourache, de coquelicots ; ces moyens simples favorisent les sécrétions et préviennent les accidents de la saison.

Il est évident par tous ces récits, que les pays couverts aquatiques, où l’eau et l’air sont en stagnation sont les plus exposés aux épidémies, aux endémies et aux épizooties, surtout lorsque la mauvaise qualité des aliments, l’intempérie des saisons troublent l’économie animale. Il en résulte que les sucs se dépravent et que le fluide vital agace les nerfs ; d’où naît l’érétisme, la crispation, la stase des humeurs, les engorgements, les inflammations et souvent une gangrenne sourde. Si sa qualité déléterre se volatilise, ces maladies deviennent contagieuses. La profondeur des fosses, la purification de la maison, du lit, des hardes du défunt sont des points importants. Ceux qui sont chargés du traitement ainsi que les gardes, doivent se laver les mains après avoir touché le malade, cracher leur salive, lorsqu’ils en ont reçu les exhalaisons ; et s’ils s’en trouvent gorgés, ils feront bien de fumer quelques pipes de tabac pour se faire cracher et saliver ; d’autant plus que c’est par la voye de l’inspiration et des glandes salivaires que l’on pompe en plus grande partie ce miasme. Dans toutes les épidémies que j’ai suivies, j’ai usé avec succès de ces moyens simples et faciles ; j’ose les conseiller avec confiance. Si l’homme de l’art qui est chargé de la conduite d’une épidémie a peur ou qu’il ait des chagrins, il doit fuir et céder son poste à un confrère plus décidé et libre de tous soucis.

Depuis longtems M. Boyer médecin de la faculté de Paris, inspecteur des épidémies, a observé que les maladies épidémiques les plus communes et les plus meurtrières dans la généralité de Paris étaient des fièvres putrides, malignes, miliaires, pétéchiales, pourprées, vermineuses et des dysenteries. La liste que je joins à ce mémoire prouve que le même genre de maladie domine et qu’il s’étend au delà des limites de cette généralité. Le traitement qu’il a mis en vogue, en employant les antiputrides, les émétiques, les nitreux, la crême de tartre, les acides, le lénitif etc est infiniment préférable, généralement parlant, aux cordiaux qu’on employait anciennement et qu’on employe encore en Turquie. L’abus de ces médicaments qui tuent les malades par centaines fait donner le nom de peste à la plupart de ces maladies qui seraient traitées bien différemment et avec succès dans nos climats. Il faut cependant avouer que lorsque le caractère de ces différentes éruptions est fluide caustique, il fait quelques fois des métastases subites sur le cerveau ou le poumon, qui font périr promptement. Il arrive d’autres fois que le foyer gangréneux principal est niché dans les viscères, où il fait une espèce d’attraction ; ou bien il s’y porte parce qu’il y trouve moins de résistance : lorsque la maladie est parvenue à un tel degré, le malade est sans ressource. L’essentiel est de prévenir et de parer ce coup ; on se flatte souvent de réussir par l’application des vessicatoires, mais il arrive que leur alkalescence volatile enflamme et divise encore la crase des humeurs ou qu’elle se porte au col de la vessie, étant analogue à l’urine ; delà les fréquentes envies d’uriner, ce qui est un mauvais symptôme qui dénote une causticité extraordinaire qui corrode et détruit. Selon moi le parti le plus prudent est d’établir un émonctoire dès le moment que l’éruption s’annonce, ou aussitôt que la maladie prend un caractère de malignité. Je préfère dans ces cas épineux un cautère avec une pâte caustique faite avec le savon noir et la chaux. Ce moyen m’a bien réussi ; j’ai même vu des personnes se préserver d’épidémie en prenant cette précaution ; il est probable que ce cautère procure un égout au délétère qui coagule les humeurs d’où résultent les engorgements. Le sang et les humeurs sont presque toujours épaissi au moment de l’invasion d’une fièvre putride ou maligne ; c’est pourquoi les délayans, les légers incisifs nitreux, boraginés, chicoracés, aiguisés ; la limonade cuite en y laissant l’écorce de citron, sont indiqués et font des merveilles ; mais après des redoublements réitérés et une fermentation soutenue, ces mêmes humeurs s’alkalisent et se divisent au point que la dissolution est souvent à redouter ; pour lors les savonneux tels que le petit lait fait avec la crême de tartre et les acides, tels que l’eau de groseille, le sirop de vinaiger, les plantes acidulées, les tamarins, rallient les molécules du sang en neutralisant ces sels : une espèce d’instinct les fait désirer aux malades. Si au contraire l’acidité et les aigres dominent dans les premières voies, éclaircissement que peuvent donner les malades, les alkalis, les amers, les émétiques sont à préférer aux acides.

Lorsqu’on voit un certain nombre de morts et de malades dans un village et qu’on parle d’épidémie, les habitans s’effrayent, l’épouvante retarde la circulation, cause des stases et prédispose à la maladie rêgnante ; il faudrait moins d’appareil lorsqu’on y envoye un médecin ou un chirurgien ; mais qu’il annonçât qu’il veut s’assurer de la cause de la maladie rêgnante, qui n’est qu’ordinaire ; qu’il vient pour remédier aux abus qu’on commet dans le traitement et pour procurer des secours aux indigents. Si la maladie est peu dangereuse, il ne faudrait pas que celui qui est chargé du traitement, fit par avidité des voyages et des visites trop fréquentes, mais plutôt, qu’au lieu d’allarmer, il encourageât les malades et ceux que la peur affecte. Si au contraire cette épidémie a un caractère dangereux, il faut que celui qui est chargé du traitement établisse son domicile sur les lieux, pour suivre les malades avec exactitude et en observateur zélé.

Rédigé à Etampes le 1er juin 1788

par moi C.F. BONCERF médecin correspondant

Source : Académie nationale de médecine, côte 175, dossier 1, n0 2

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